Quelques heures de la mort d’une femme

« T’as conscience qu’en fait elle est morte là? Peu importe le jour, c’est aujourd’hui le 15 qu’elle est partie on la reverra plus » c’est ce que je dis à Régis, il se racle la gorge ça veut dire qu’il est ému il me dit « bah ouais »

Bah Ouais elle est toujours en vie mais déjà morte.

Une fois que l’équipe de sédation est partie je me suis sentie exténuée, j’ai décidé de pas dormir avec elle car elle respire/ronfle trop fort la vérité c’est que je suis ravie d’avoir cette excuse là, je n’y arrive plus à la voir comme ça, je ferme la porte de la chambre je vais vérifier une fois par heure derrière la porte et c’est tout, je n’arrive plus à faire les 4 lessives par jour, je n’arrive plus à aider l’aide soignante, je lui ai dit ce soir « je ne peux pas faire ça, je ne peux pas la laver, lui changer la couche, alors qu’elle est inconsciente et peut être va mourir à ce moment là » je les aide depuis 3 semaines, je m’occupe de l’eau, de laver le visage, les bras, les pieds, les jambes, le vernis, je soulevais maman sur mon côté pour mettre la couche par dessous, ma main droite tenait le creux de sa hanche, ma main gauche lui tenait la main pour pas qu’elle tombe, je soulevais maman pour la remonter, les deux mains en dessous des fesses ou la main droite sous le dos, la main gauche sous l’aisselle ça dépendait des aides soignantes, j’habillais maman et j’avais tellement peur car j’étais du côté des perfusions, je peignais maman, je lui mettais de la crème partout, je lui lavais les dents, y’a un truc spécifique ça ressemble à une brosse à chiotte mais pour la bouche en plus petit, je choisissais ses robes tee shirt en fonction du temps, je m’occupais des déchets des soins, une poche poubelle par soin = 2 par jour. 3 serviettes le matin, 3 gants, le soir une serviette et un gant, je lavais tout depuis 3 semaines, là c’est fini j’en suis incapable, les aides soignantes ne m’en veulent pas, il y a Marie, celle que maman préférait, Patricia, Vanessa essentiellement, nos préférées, parfois une nouvelle mais je n’aide plus je m’excuse auprès d’elle car en vrai quand elles sont seules ben leur taff est hyper dur mais je ne peux plus, maintenant je n’aurais que le petit dej de Régis à préparer et ça me fatigue d’avance, et les médocs de Régis.

J’arrive plus à « nettoyer » en 3 semaines j’ai passé le balais et basta même ça je peux plus, je suis lessivée, rincée, j’ai encore perdu du poids, Régis m’apporte du fromage tous les jours je n’arrive même plus à les manger, je n’arrive plus à m’allonger à côté d’elle et juste regarder le plafond, je n’arrive plus à sortir un coup à boire à Mumu ou jeanine lorsqu’elles passent, je n’arrive plus à rien. J’ai besoin de coca et de gel douche, je n’ai plus que celui de maman je supporte plus cette odeur, à chaque fois j’oublie de demander à jeanine de m’acheter un gel douche à la con.

En 2 h la respiration de maman a déjà changé, jeudi soir elle a un mouvement de tête difficile à voir, et une respiration par « hoquet » je suis allée la voir, l’embrasser même si on a « pas le droit », il ne faut pas la stimuler ça serait retarder son départ, mais quand même je m’en autorise 2 par jours des bisous donc un bisou, un je t’aime fort, un bonne nuit. Plus c’est pas possible.

J’ai rangé les boites de médocs à refiler à la pharmacie il y avait 146 boites de médicaments, sans compter toutes les conneries de laxatif, gouttes pour les yeux, et les 40 bouteilles de compléments alimentaires.

Je vais dormir dans le salon sur le canapé, ma chambre là haut me fout les boules depuis qu’elle a racheté cette baraque j’y vais le moins possible.

3h30 je me réveille les petits chats miaulent je prends mon médoc, 4 h je me lève je vais prendre de la brioche avant d’aller voir maman peut être parce que je sais que la journée va être longue et qu’il faut que je tienne, que mon estomac soit un peu plombé, je fais couler le café, je vais écouter derrière la porte de la chambre : pas un bruit. J’ouvre, je rentre il fait nuit il y a juste la lumière de la cuisine qui éclaire un peu. Elle ne bouge pas, je m’assois à côté j’essaye quelques minutes de regarder si y’a un mouvement de respiration, y’a rien.

J’ose lui toucher le bras, j’ai un mouvement de recul très fort, réflexe, elle est morte c’est le bras d’une morte. La tête tournée vers le côté droit, l’air paisible terriblement. Je lui caresse le visage pour confirmer oui elle est morte voilà maman est morte. J’envoie un sms à Anne « anne je pense qu’elle est morte »

Je ne pleure pas, pas une larme, je vais prendre ma douche direct je m’habille je prends mon café je sors fumer une clope, il faut être dans l’automatisme, dans l’habitude sinon tout s’écroule et moi la première. Je reviens je prends une photo d’elle pour me souvenir de ce moment, l’état de choc ou sidération pouvant m’empêcher de me souvenir.

2 eme café, 3 eme clope elle était morte, glacée, figée avec un léger sourire comme son père. Belle. Voilà. Bouche fermée, yeux fermées, pas de vision d’horreur, pas de râle de gorge, rien, le sommeil et la mort. Il n’y avait que ça.

Régis dormait à l’étage, je n’ai pas crié , il n’y a pas, il ne peut pas y avoir du chagrin à ce moment là il n’y a que de la sérénité pour moi comme hier lorsque je croyais qu’elle était dans le coma, voilà enfin elle ne souffre plus, toutes ces merdes depuis 6 mois sont finies, mon cœur se soulève, pire qu’un chagrin d’amour, bien pire, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes, que moi aussi j’allais mourir, la maintenant tout de suite, mais je ne pleurais pas.

Quand était-elle morte ? Je me suis endormie à 21 h Régis aussi il est à l’étage, il est 5 h je le préviendrai à 6 h. Si elle avait crié, ou fait beaucoup de bruit je l’aurais entendue. Elle s’est sûrement « endormie » ou étouffée, ou le coeur … je sais pas. Je suis restée avec elle longtemps, très longtemps à la regarder, la toucher, regarder ce corps qui ne vivait plus et lui parler, lui dire qu’elle me saoulait putain d’être partie comme ça je lui ai dit « qu’est ce que t’es une grosse conne de te tirer là si vite c’est dingue mais qu’est ce que je t’aime c’est dingue aussi sale andouille » et plein d’autres choses encore entre elle et moi.

4h48 sms à un ami, ce n’est plus « je pense » c’est « maman est morte »

J’ai sorti les bols pour le thé de Régis, j’ai envoyé deux autre sms à deux amis et un message à un garçon de Twitter qui m’avait lu et que je connais pas je sais pas pourquoi j’ai fait ça, je suis retournée la voir, la nuit a continué j’ai envoyé une photo d’elle à Anne qui me dit qu’elle a l’air d’être bien, de pas avoir eu de sursaut, de s’être endormie , j’étais avec elle je l’ai embrassée tellement et caressé les cheveux, j’ai coupé une mèche de cheveux. J’ai pris une dizaine de photos. On va veiller maman, elle va aller aux pompes funèbres pour se faire canon et après elle va revenir ce soir dans son cercueil ouvert pour qu’on la veille, on fait ça chez moi, cette nuit je dors avec une maman morte.

Je dois prévenir Régis je monte l’escalier je frappe à la porte « oui il est 6h ? » « Régis faut que tu viennes là », Régis arrive dans la chambre je dis « elle est morte » « oh merde » il répond, il l’embrasse sur la bouche en murmurant « doudou » et me dit : « Attends désolé mais faut que j’aille pisser », je lui dis « t’as vu pas de bouche ouverte, yeux fermés c’est cool » « c’est parfait » dit Régis, « je te laisse avec elle je vais fumer, après j’appelle les filles » j’ai appelé Mumu qui est arrivée aussitôt, puis jeanine qui avait laissé son téléphone éteint, 30 minutes après elle arrivait en robe de chambre, elle s’est écroulée la plus optimiste d’entre nous, jeanine qui me disait en juillet « elle peut tenir 5 ans tu sais ! » ce qui m’avait beaucoup fait rire, ni Régis ni Mumu ni moi n’avons pleuré.

Régis me demande d’après moi quand auront lieu les obsèques, je dis « sûrement lundi comme la reine Elisabeth » on a éclaté de rire « on a chacun notre reine » a dit Régis « voilà la reine Bernadette, je vais intituler mon discours comme ça ». J’ai demandé à Mumu d’appeler le médecin de garde de l’hospitalisation à domicile moi je ne pouvais pas, entendre une musique classique avant qu’on prenne mon appel et que je dise « je suis la fille de bernadette Boutinon elle est morte » je ne pouvais pas le dire, juste l’écrire, mumu a téléphoné à l’HAD comme convenu qui a une astreinte h24, la meuf au téléphone a dit de prévenir le médecin traitant de maman, c’est pas ce qui était convenu, le téléphone est en haut parleur je dis que le médecin traitant de maman fait 150 kilos et à 75 ans et que déjà il se déplace pas dans la salle d’attente alors vous faites ce qui était convenu vous envoyez votre médecin.

Le médecin traitant finalement arrive pour constater le décès, il est 9h, « rappelle moi le prénom de ta mère ? », il me dit et : « tu devrais arrêter de fumer » je réponds « j’ai pas de gosse je m’en fous » Régis m’emmène aux pompes funèbres c’est là bas que je m’écroulerai, ça a duré 2 h, 4000 balles, en plus des 5000 qu’elle avait déjà payé, tout va s’enchaîner je suis terrorisée, je ne sais pas à quelle heure vraiment elle est morte, après minuit le 16 avant minuit le 15, aujourd’hui ou hier, je peux donc faire mienne la phrase, Aujourd’hui maman est morte. Ou peut être hier. Je ne sais pas.

M Écrit par :

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