Le discours de la reine Bernadette

Le moment où je me suis complètement écroulée vendredi c’est lorsqu’ils sont venus chercher maman pour lui faire des soins avant de la ramener, Régis était reparti, Jeanine et Mumu me soutenaient à me câliner. La voir mise dans un sac noir, un sac fermé comme dans les films, sur un brancard, irréel. Et puis 4 h après, son retour, dans le cercueil j’ai eu de nouveau mal au coeur, Régis Mumu et moi étions confinés dans la cuisine à la demande des pompes funèbres, Régis m’a dit de respirer ça allait un peu mieux. Un peu.

De la cuisine on voit la maison de mon oncle, sur le même terrain que nous, Mumu et moi avons remarqué de l’agitation, la femme de mon oncle, celle qui avait ri en constatant que maman ne savait plus écrire des sms en mars en me prenant à témoin à me dire « regarde là ta mère elle arrive même plus à écrire Ahha ! » a vu les camions des pompes funèbre URGENCE DÉCÈS il y avait écrit, ils ont compris je pense il était 18h30.

Maman est ratée, bien plus belle ce matin au naturel, là elle apparaît stricte, revêche, comme sa pute de sœur en fait, quand je l’ai vue dans le cercueil j’étais horrifiée je suis sortie vite j’ai dit aux autres « mais elle est moche c’est pas elle elle est ratée » ils sont d’accord avec moi, « c’est pas doudou » mon grand père était un très beau mort elle, elle n’est même plus elle, il n’y a rien d’elle. Après on a parlé tous les 4, j’ai roulé un joint pour me détendre avec l’anxiolytique j’étais même pas cassée.

Le fils de Régis a téléphoné à son père j’ai répondu d’abord car nous n’avons qu’un jour d’écart c’est mon jumeau, puis parce qu’il est sorti avec une de mes amies de lycée y’a 20 ans, elle fait le lien entre nous, au téléphone j’ai dit « bonjour vincent je suis emmanuelle la fille de Bernadette ton père est chez les voisins » on a parlé un peu, une voix gentille et intelligente. Instinctivement j’avais envie de lui parler. Régis est revenu et il m’a dit : « tu connais l’écrivain Philipe Djian? Bah je pense que ta mère je l’ai séduite comme ça » grâce à Philipe Djian. Bien sûr je voyais tous ses livres à la maison en fait c’étaient ceux que Régis prêtait à maman « c’était notre premier resto en fait, avant ça au cabinet je lui avais donné le livre de Djian, au resto tu étais avec nous, elle m’a donné le livre en me serrant la main, trop fort, 1 quart de seconde trop fort j’ai su à ce moment là tac c’est gagné »

Régis me parle de l’odeur de maman, une odeur chaude qu’il adorait, Régis aime : les odeurs, toucher les gens, voir ses potes, ses gosses et boire du bon vin. Il m’explique qu’au cabinet de kiné quand maman faisait ses séances il se shootait avec les serviettes de maman, je lui dis qu’elle m’a raconté ça en se marrant. Et Régis dit un truc drôle « d’ailleurs tu as la même odeur que ta mère c’est dingue » je lui dis « écoute c’est incroyable que tu me dises ça car y’a un peu moins de 3 semaines j’ai dit à maman un matin que j’avais l’impression de prendre son odeur, je lui ai dit « je ne reconnais pas ma peau ni mon odeur j’ai la tienne je suis en train de devenir toi» je somatise trop » et Régis l’a remarqué aussi, je pensais que je délirais mais non.

Et puis il y a eu le week-end, les gens pouvaient venir se recueillir de 14 à 18 h devant maman, maman le lendemain de son retour était « mieux » physiquement sa tête était « tombée » en arrière un peu elle était mieux, elle était « plus elle », ni l’oncle ni la tante ne sont venus.

Et puis nous sommes arrivés à lundi 14:30, date de l’enterrement, je n’ai pas voulu assister à la fermeture du cercueil, la veille j’avais mis ce qu’elle voulait dans le cercueil : un sac à main avec un rouge à lèvre, un vernis, de l’eye liner vert, un paquet de clope un briquet, un porte bonheur. J’ai mis mon livre sur sa droite à l’intérieur des photos, entre ses mains j’ai mis une photo de nous deux, à côté une aquarelle de Régis, sur l’autre côté une photo de maman, papy et moi. Puis une rose sur son coeur.

Je suis arrivée à l’église 1h avant à l’église avec Anne, je ne voulais pas voir la fermeture de cercueil, à l’église j’étais à côté de Régis et à côté il y avait Anne qui est arrivée samedi soir. Sur le banc de l’autre côté il y avait Jeanine, Mumu et Josette. J’avais mis ma robe taille 12 ans, ras le cul, physiquement et mentalement ras le cul. J’avais mis du rouge à lèvre rouge en hommage, j’ai tenté de me faire un peu jolie, compliqué en cette période. Mais mes cousins m’ont dit que j’étais magnifique alors je les crois merde. Je me suis levée j’étais là première à parler, dans l’église

Et j’ai commencé mon discours pour ma reine de maman :

« C’était le 7 mars il faisait froid à Paris, maman m’a téléphoné à ma pause « j’ai un petit truc au cerveau- rien de grave ». Le samedi suivant c’est Mumu la voisine, l’amie de maman qui m’a appelée, maman avait fait une crise d’épilepsie il fallait que je redescende. Je pensais rester 3 jours j’ai pris un pantalon, 3 slips mon chat je suis pratiquement restée un mois.

Elle allait mal, je dormais avec elle, je la douchais, je lui donnais à manger. A 15 ans je savais que je n’aurais pas d’enfant maman aura été mon seul enfant je l’ai couvée comme une mère.

Deux jours après mon arrivée le médecin généraliste de maman m’a gentiment dit « dans 3 jours ta mère c’est fini » je me souviens de mes hurlements et tremblements, j’ai appelé Josette et loic mon cousin. Jeanine tu étais avec moi à ce moment là j’ai réalisé il y a peu qu’on se connaissait que depuis deux jours à ce moment là, je ne te remercierai jamais assez de ton soutien, pour ce que tu as fait pour moi à cet instant précis tu as été une tante, c’est un des souvenirs les plus forts pour moi de ces 6 mois.

Pendant trois jours je n’avais qu’une peur, me réveiller à côté de son cadavre et si ça arrivait ?

Le soir même j’ai posé des questions à maman, des questions cons sur la maison et des questions moins cons je vouais savoir si elle avait aimé sa vie? Elle m’a dit un énorme « OUI je l’ai adoré ! Car jusqu’à 40 ans j’étais folasse et insouciante. »

Je lui ai dit : « maman j’ai 38 ans et je crois qu’à 5 ans je n’étais déjà plus insouciante, quelle chance tu as eu, quel luxe » qui dans cette église peut dire comme elle ? Qui peut dire Moi aussi j’ai vécu 40 ans d’insouciance ?

Je lui ai demandé ce qu’elle avait le plus apprécié de la vie elle m’a dit un énorme « L’AMOUR! D’abord TOI je t’aime tellement et j’ai aimé tellement d’hommes »

Du coup j’ai trouvé que c’était une chouette vie.

L’amour qu’elle avait pour moi était énorme elle m’a tellement répété que j’étais la plus belle, la plus intelligente, la meilleure que j’ai fini par le croire. J’ai une ÉNORME confiance en moi, je ne changerai jamais, je suis tellement arrogante j’adore ça, j’ai un ÉNORME melon charentais à la tête, cet amour m’a donné toute cette confiance, je souhaite à toutes les femmes d’avoir la moitié de ma confiance.

Quand j’avais 4 ans un jour elle est allée voir ma maîtresse, je voulais me maquiller comme elle, maman était maquillée comme dans les films de Pedro almodovar qu’elle aimait tant, elle avait 42 tailleurs à un moment. La maîtresse lui a dit de me laisser faire, on est allé à Prisunic pour m’acheter du maquillage et pendant un mois genre je me suis maquillée comme un clown pour aller à l’école. Ce que les autres parents pensaient elle s’en fichait seule moi l’importait.

Elle aimait se moquer des gens terriblement, bob Marley, Michael Jackson et foule sentimentale d’Alain Souchon, on dansait et chantait beaucoup. Quand je prenais des vols longs courrier elle suivait mon trajet la nuit et savait avant moi quand j’atterrissais à Paris.

Elle était aussi très prévoyante : il y a une dizaine d’années elle me dit qu’elle a acheté sa tombe « comme ça c’est fait » puis quelques mois après je reviens ici on va au cimetière voir papy et elle me montre sa tombe, elle me dit t’as vu elle est énorme hein, je dis oui, « c’est normal j’ai aussi acheté la tienne ! Tu vas pas t’enterrer à paris t’auras pas de mari ni d’enfant ! »

Effectivement j’ai su très vite que jamais je n’aurais cette vie là et maman n’y est pas pour rien je pense. Elle a fait un bébé toute seule et la société, la famille n’étaient pas dans la compassion. Ici même dans ce village des gens m’ont appelée « la batarde à doudou » devant mon grand père, j’ai pensé ce matin que peut être ces gens seraient ici dans cette église, en fait je les ai vus, ces gens qui m’ont dit que j’étais « la batarde à doudou » sont là je n’ai pas oublié, elle non plus. Nous n’avons jamais oublié qui nous a jugé. « Choix de vie » a longtemps été mon surnom, « doudou a fait un choix de vie » je vous souhaite à tous de faire un choix de vie aussi cool que moi.

Un jour elle a dit très fort « ben moi je suis fidèle à rien même pas à mon parfum » j’avais 12/13 ans et j’avais trouvé ça hyper cool d’avoir une maman qui s’autorisait d’aimer qui elle voulait quand elle voulait, elle était fidèle à elle même, le plus important.

A sa manière elle a permis à ce que moi je puisse vivre ma vie comme je l’entends avec le nombre d’hommes que je veux et que j’en ai rien à battre des conventions je fais ce que je veux, elle m’a montré cette liberté que je chéris tant. Je ne la remercierais jamais assez. Et fort heureusement elle m’a aussi transmis cette absence totale de fidélité, une de mes nombreuses qualités.

En août j’ai compris que maman allait mourir, cancer généralisé stade terminal depuis le début, les médecins se refilaient la patate chaude. Je suis venue lui annoncer avec mes mots, nous savions qu’elle ne serait pas là à mon anniversaire en octobre. Elle m’a dit qu’elle l’avait compris quelques jours plus tôt en m’appelant « tu avais une voix plus triste que d’habitude j’ai pensé manou doit savoir un truc grave »

On a tout organisé ensemble, les funérailles, le cercueil, ce que j’allais mettre sur sa tombe, tout. Ce discours je lui ai lu à sa demande, je l’ai même filmé en train de l’écouter, à la fin elle m’a dit « j’adore ! C’est tellement toi, tellement anti conventionnel! »

Vers la fin elle m’a dit un jour « tu sais manou une vie c’est RIEN! C’est tellement rien qu’hier encore j’étais convoquée au collège Félix gaillard car tu avais insulté un prof et regarde aujourd’hui oû je suis ? Alors fais ce que tu veux mon amour, aime qui tu veux, dis ce que tu veux » on savait qu’elle serait partie à mon anniversaire en octobre elle m’a dit « jouis de tout ce jour-la, fais l’amour avec un homme » je l’ai rassuré et lui ai expliqué que je m’offrais toujours un homme et un sac à main ce jour là.

Quand je lui ai dit qu’elle partait 20 ans trop tôt elle m’a dit « j’aurais aimé te connaître plus longtemps j’ai tellement aimé te rencontrer, j’ai tellement aimé d’ hommes mais c’est toi la plus mignonne, que cette douleur te serve, fais quelque chose de cette souffrance » elle a conclu en disant « tu sais j’ai compris il y a quelques semaines seulement que je ne ferais plus jamais l’amour »

Et puis j’ai eu l’idée de revenir ici pour faire un marathon d’amour pour qu’on fume des clopes et qu’on bouffe des glaces. Grâce à la législation française je suis allée lui acheter du du cannabis thérapeutique, elle ne voulait pas prendre de morphine, et on a fumé 3 gros petards, à 68 ans elle a découvert ça, ça a marché pendant 3 jours elle n’a pas eu mal, je ne vais pas vous cacher que la fin de vie a été compliquée notamment dans l’accompagnement.

Et lors de mon arrivée ici j’ai compris que yavait autre chose, elle a toujours trompé mon père je m’en fichais ça n’était pas ma vie, je ne juge pas moi, qui suis je pour juger? Qui êtes vous pour juger de situations dont vous ne savez rien ? je savais qu’il y avait eu un amant il y a 33 ans je pensais qu’il était devenu un ami, en fait j’ai compris qu’il était resté un amour depuis tout ce temps . Alors j’ai dit à cet homme que j’ai toujours aimé de venir avec nous, qu’il faisait partie de son intimité qu’il devait être là. Nous avons vécu ces jours à 3. Je trouve cette histoire magnifique, putain de magnifique j’en ai chialé de bonheur en la comprenant lorsque jeanine me l’a raconté.

Maman était croyante, je ne crois qu’en la république et moi même je vous ai dit que j’avais un melon, elle est persuadée que nous nous reverrons je lui ai fait promettre de ne pas venir sur mon lit à 3 h du matin, plutôt au milieu du métro ligne 7 station opera un jour à 17 h. Peut être … on verra.

Maman et moi souhaitions remercier différentes personnes, jeanine et Mumu d’abord sans elles je ne sais pas ce que maman aurait fait je ne sais pas ce que j’aurais fait, il n’y a eu que vous et rien d’autre, je n’ai aucun mot pour qualifier votre dévotion, votre amour. Jeanine Mumu sont les personnes les plus formidables du poitou Charente Merci infiniment.

Nelly et Patrick mon oncle et ma tante paternel , paternel j’insiste le jour où je suis revenue en mars ils ont fait 100 bornes pour venir la voir et me proposer leur aide. Ils n’avaient pas vu maman pendant 15 ans. Ils me soutiennent depuis 6 mois. Josette l’amie de y’a 3 millions d’années depuis mars on est pas resté 3 jours sans se parler. Nasou, car on t’aime tellement depuis toujours avec Adé. Nicole pour tous nos moments à cognac. Bernard C., pour les appels, je ne l’ai pas vu depuis 25 ans et il me téléphonait en m’appelant ma petite chérie, son soutien, ses mots ont été précieux, ça m’a fait beaucoup de bien. Patrick le maire de Mons où Villeneuve je comprends rien à vos bled, pour son écoute et sa gentillesse Patrick a recueilli les volontés de maman merci Patrick. Enfin mes amis, ceux présents ici ou ceux qui gardent mon chat à paris, ceux qui ont déjà acheté du chardonnay pour moi, depuis 6 mois je ne suis pas drôle, je pleure, je redeviendrai drôle et j’aurais plein d’histoire de mecs à raconter encore promis. Merci à vous.

Enfin Regis. Merci d’avoir aimé maman comme je ne pouvais pas le faire, merci de lui avoir fait vivre cette histoire d’amour dingue et digne d’un roman, merci d’avoir accepté d’être à côté de moi ici.

Je n’oublierai pas ce que les gens ont fait, je n’oublierai pas ce que les gens n’ont pas fait, je n’oublierai pas non plus ce que les gens ont dit, je n’oublierai pas que quelqu’un s’est moqué d’elle en mars quand elle ne pouvait plus écrire de sms à cause des métastases au cerveau, j’étais là, je suis excessivement rancunière que voulez vous je vous ai dit que je n’avais que des qualités

Je termine en disant qu’on vit du bon côté du globe, on a la chance de pas être en Syrie en Irak en Corée du Nord ces pays à la con ou moi je serais tuée ou emprisonnée pour mon style de vie, on vit en France, gros pays de merde en ce qui concerne la fin de vie croyez moi mais pays fantastique sous d’autres aspects. Si vous pensez que la vie c’est faire des boites de conserves avec votre morale à la con et à juger les autres félicitation vous avez raté votre vie et vous en êtes le seul responsable, il vaut mieux vivre 68 ans comme maman que 90 comme un vieux croûton. En France nous avons le meilleur vin, les meilleurs fromages et croyez en ma très longue expérience de très très très beaux mecs pas uniquement dans le 19 eme arrondissement de paris. Aimez, buvez, faites l’amour, amusez vous, vivez, la seule mort c’est l’oubli, et comme disait Victor Hugo à propos de Georges Sand « elle est hors de la chair la voilà libre, elle est morte là voilà vivante! » Soyez heureux, une vie c’est rien ! »

L’oncle et la tante étaient présents dans l’église ils ont entendu les discours et n’ont pas assisté au cimetière. Au cimetière « Billie Jean » était bien présent à ce moment là , Anne m’a dit que j’avais même commencé à danser. J’ai invité personnellement les gens que je voulais voir après à la maison, on a bu 3 bouteilles de champagne on a rigolé on s’est embrassé, Anne est repartie ce soir, Régis aussi car demain midi il mange avec son fils Vincent et voilà la vie continue.

Fin de la thérapie de maman via l’écrit je vais commencer la vraie thérapie avec un psy. Merci à tous. Bientôt je retourne au café ou au palais de justice.

M Écrit par :

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