La robe d’enterrement

« Et toi comment tu vas t’habiller pour moi? » Moi j’avais déjà prévu le coup en revenant en juillet, j’avais apporté un jean slim noir, 2 tee shirt noirs, un gilet noir. Et mes nikes colorées. « Ça me va » elle a dit. Et puis en faisant du tri j’ai retrouvé une petite robe noire, achetée à mes 11 ans à la redoute, elle était la quintessence du cool, j’avais pas encore mes doc Martens mais je rêvais de la mettre avec sauf que j’étais déjà trop potelée, sur moi c’était moche, je rentrais pas dedans, mais je l’ai gardé. A 20 ans elle m’allait j’étais ultra maigre, alors je la mettais chez maman et je l’ai retrouvé accrochée dans mon armoire, l’étiquette a vieilli, le noir aussi, heureusement elle n’a pas d’élastique. Je l’ai essayée une nuit, c’est du 12 ans donc c’est court on voit ma culotte un peu, et j’ai réveillé maman avec cette robe. Je lui ai dit « tu en penses quoi? » elle m’a dit « j’adore elle te va très bien » je vais aller m’acheter des collants à Super U, je mettrai mon petit gilet noir et mes nike colorées, j’ai la tenue.

La date est aussi un peu fixée si elle ne part pas d’elle même ça sera la semaine du 20 septembre vers la, octobre commencera et moi je serais orpheline. « c’est loin le 20 septembre » elle dit, c’est dans 19 jours c’est très loin c’est trop court c’est comme ça.

Mais la dégradation est de pire en pire elle ne sortira plus du lit, ça y est elle y a été mise jeudi à 17 h, par moi, j’ai demandé le retour des aides soignantes le soir je ne peux déjà plus. Elle n’est là que depuis 8 jours. C’est comme si chaque heure elle perdait en plus autonomie ou sens. Le corps s’arrête de fonctionner petit à petit maintenant ce sont les jambes qui sont glacées, son côté droit paralysé depuis mars ne cesse de s’affaisser, il y a les moments où je n’entends ni respiration ni rien pendant de longues secondes, ça fait flipper. Et d’un coup un grand râle : elle respire. Elle ne fait que souffrir, il y a 5 jours elle tenait debout 2 minutes en s’appuyant maintenant c’est 1 seconde et demi, elle est en train de devenir quasi aveugle, elle a mal partout, refuse la morphine pour l’instant, elle ne veut voir plus personne à part moi et Régis qui est revenu aujourd’hui, elle ne veut parler que de sa mort, sa souffrance, son départ, plus rien d’autre ne compte. Elle pleure la moitié de la journée et ne veut plus rire.

Les soins palliatifs sont venus mardi on a évoqué la date, une semaine avant octobre à peu près, c’est dans plus de 3 semaines une éternité, les soins palliatifs vont venir la semaine prochaine, elle ne tiendra pas 3 semaines sans être un légume, à se chier dessus en permanence, à se pisser jusqu’au cou vu qu’elle est allongée, à répéter 30 fois la même chose si elle a encore la parole, je lui donne 10 jours maximum, je suis sure qu’elle partira avant le 10 septembre, et dans quel état ? Son amie aujourd’hui m’a dit que c’était limite de l’acharnement thérapeutique déjà. Regis et moi on se relaie auprès d’elle, à lui elle dit je ne sais pas quoi, à moi elle me dit « ma cagouillette je suis en train de partir tout mon amour t’accompagnera toute la vie » en vrai c’est hyper dur je sais même pas comment je fais, Régis a amené 6 fromages et du vin blanc on a mangé debout à se dire « tu peux aller la voir », il va dans la chambre je sors fumer une clope, j’y vais il prend un verre de vin et engueule les chats, je vais dans le salon il y retourne, on s’évite un peu, il y a 2 jours il m’a dit « je pense qu’elle tiendra un mois facilement » moi j’ai dit « tu rêves d’ici 2 semaines c’est plié » j’ai raison.

On se retrouve dehors sur la terrasse, « t’as une sale gueule je te le dis comme ça Manue je me permets hein » il m’explique sa méditation qu’il fait depuis son AVC il y a 6 ans « je t’apprendrai » il me dit que cette semaine passée avec moi « bah je t’ai découverte, t’es bien la fille de ta mère » il me dit ça en me tapant sur l’épaule encore comme au rugby. Il me demande si « après » je reviendrai en Charente, à cognac, je lui explique que oui, que non, pas tout de suite en tout cas, il veut m’offrir un resto, aux amies de maman aussi et puis « on restera en contact j’ai deux trois trucs à t’apprendre, un peu comme avec mes filles, avec mon fils c’est différent on est des mecs on parle comme des mecs » et puis il repart sur maman « je devrais pas te le dire mais vraiment j’ai connu énormément de femmes, elle c’est la plus grande, elle est au sommet sur tous les plans » mais quand même «c’est une chiasse ta mère putain ah une espèce de bourrique je le dirai à l’église » il m’explique que ses amis ont rencontré maman, d’ailleurs pile à ce moment là « Gérard » appelle « mon ami de chamonix oh ben il connaît bien ta mère » Régis s’éloigne et je n’entends que ses mots « bernadette, fille, à la maison, phase terminale, cortisone, c’est fini »

J’ai pris une photo d’elle cet après midi pendant qu’elle faisait la sieste, pas une belle photo pour me souvenir l’état de souffrance, de déchéance, et ne pas culpabiliser car je culpabilise déjà d’un truc que j’ai pas fait et que je ferai peut être pas. Moi je dors avec ma culotte maintenant pour pas me retrouver le cul à l’air en tee shirt dans la rue à crier « aidez moi »

M Écrit par :

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