Mauvaises fréquentations

J’arrive avec une heure d’avance du coup les flics me causent, on bavasse de tout et de rien, du covid, du temps, de leurs écussons qu’ils scratchent sur l’uniforme, puis ils me disent : « Oh puis allez-y dans la salle après tout vous êtes seule » demain les flics me payent un café. Dans la salle il y a l’huissier et moi, l’huissier  une tête à venir de Biarritz, un peu cramé par le surf, le soleil, les femmes et les fêtes de Bayonne, quadragénaire il a des vans, à tout moment il peut commencer un paquito sur l’air de cum cum mania. Le Président rentre sans sa robe et me lance un gros « BONJOUR ÇA VA ? » lui il est hyper cool il ressemble un peu à Philippe Estebech, un avocat rentre et n’a pas droit à un bonjour présidentiel lui, demain moi je check le Président, mon gars sûr. Un avocat défense vient me voir et me demande à lire à la fin de la semaine ce que j’ai écrit c’est un avocat issu de la conférence donc il doit être très bon, il a une photo de son petit garçon en fond d’écran, un autre avocat défense vient me voir et me dit qu’il faut que j’aille voir un procès pour importations de stup qui se déroule sur 5 semaines « là vous verrez une belle salle d’assises, pas comme ici » et puis y’a le procureur rigolo aussi qui arrive et fait des grimaces, il lui ressemble pas du tout mais il me fait penser à Jean Rochefort.

 L’audience commence et on repart très vite fait sur Merlin, le Président lui parle de sa détention puis après son bracelet électronique, mais ça a été révoqué, l’avocat de Merlin lui dit : « Comment ça va ? » Merlin de sa voix douce lui dit qu’il ne va pas « très bien, c’est dur pour moi ma famille et les enfants » il dit que la mise en place de son bracelet électronique a été révoquée pour des problèmes de non-respect des heures, son avocat lui dit : « Y’a pas aussi une histoire de conduite sans permis ? » ah oui.  Merlin parle de sa détention, il utilise toujours le mot « compliqué » il parle de ses trois enfants de 7,4 et 2 ans « la dernière je ne l’ai pas encore vue » son avocat le lance et lui demande ce qu’il pense « globalement des faits, c’est important Monsieur Merlin » Merlin parle un peu plus : « D’abord c’est une bagarre qui s’est très mal passée, la victime n’est pas là j’aimerais lui présenter mes excuses, je me suis mis à sa place… le coma, lui entre la vie et la mort je sais que j’ai commis une erreur, qu’il fallait pas je suis quelqu’un de très respectueux » et il évoque son parcours de vie, « compliqué » et il a beaucoup de mal à expliquer et ne trouve pas les mots justes malgré les relances de son avocat. Le procureur rigolo parle de « a péni WoW EXCUSEZ MOI LA PÉNITENTIAIRE » et on passe à Mothir.


Mothir il a un costume, une sacoche de VRP, il fait 1m50 à tout casser et il ressemble à Dany deVito. L’enquêtrice de personnalité explique que Mothir est « calme, posé, élabore un bon discours, respectueux du cadre, il est né en 1989, il est en couple il gagne 3500 euros par mois dans les télécoms, il ne fume pas il boit un peu parfois, il a une sœur, son papa est décédé quand il avait trois ans d’un cancer du poumon, c’est la première fois qu’il est confronté à la justice, il est attentif et sincère avec sa famille, sa maman est sous curatelle elle vit chez lui il s’en occupe bien, il dit que sa compagne est un rayon de soleil il est très amoureux, il est têtu et un peu borné il n’aime pas la violence. » C’est donc une « enquête très favorable et complète » dit le Président qui appelle Mothir à se mettre à la barre et à nous en dire plus. Mothir explique qu’il est un peu plus expansif que ce que l’enquêtrice a dit il parle même de la fausse couche de sa frangine. Il a sauté le CP, il dessine et il peint et parfois il fait des tagg, il a tenté de rentrer dans une école d’arts ( Les Gobelins) mais ça n’a pas marché, il est ambitieux il s’est formé de lui-même pendant un an et il a passé une dizaine de certifications, aujourd’hui il est ingénieur reconnu par l’état. Sa compagne est assistante juridique pour un cabinet d’avocats. Mothir s’exprime très bien, fluide et équilibré dans ce qu’il dit. Le Président : « c’est fini le tag? On vous voit là dans votre costume avec cravate on vous imagine mal… » Mothir lui dit : «  En fait c’est pas des tag c’est des fresques, j’aurais pu vous amener des photos … » « Ah mais oui ! Ça fait partie de la personnalité ! » s’exclame le Président hyper sympa qui évoque Banksy : « Hey ça coûte une fortune hein ! » Mothir nous montre une fresque, commandée par la mairie de St Ouen pour orner un stade « oh ça c’est du manga ! » dit le Président fin connaisseur, on voit la fresque on dirait Sang Goku. Le Président n’a pas l’air de comprendre ce que Mothir fait là et moi non plus, c’était sa première garde à vue cette affaire : « Vous commencez fort ! » Mothir a interdiction d’évoquer l’affaire en détail mais « je veux juste dire que les valeurs de ma mère c’est le travail et l’honnêteté je m’efforcerai d’apporter tous les éléments pour comprendre ce qui a mené à une tragédie comme celle-là, je voudrais transmettre mes amitiés aux victimes via leur conseil [avocat] j’ai discuté avec Kevin [une des victimes] on s’est retrouvé pour une confrontation et après on a été dans la même pièce, par hasard on a discuté c’est quelqu’un de bien, de comme moi je présente mes excuses » La défense de Mothir demande juste une précision vu que l’enquête et le témoignage sont complets, son avocat lui demande de décrire son quartier de St Ouen : « Ca a déjà été dit mais c’est un quartier sensible ma mère a tout fait pour m’épargner de tomber dans ça » et il évoque plus sa maman : « Elle a eu le covid en mars , je l’ai faite hospitaliser chez moi, les hôpitaux étaient saturés j’ai mis une chambre médicalisée avec oxygène malheureusement depuis le 28 mars elle est en réanimation à Créteil, elle a eu 33 jours de coma, des AVC, tous les jours je vais la voir, l’hôpital de Créteil le permet c’est un privilège j’ai de la chance » et c’est une pause.

 Au retour une visioconférence avec Marseille une enquêtrice de personnalité évoque Macela né en 1984 ( il fait 10 ans de plus) ( frère de Lounes) « triste peu loquace, pas vivace, il a une femme et un enfant, il est éteint depuis le début de cette affaire , il admire son père et a une famille fusionnelle, un élève moyen, il a mal vécu la détention. Maintenant il travaille dans une crêperie. Quand son enfant avait 7 mois il a fait une très mauvaise chute, il a dû subir une opération à crâne ouvert, Macela a arrêté de travailler pour s’occuper de lui pendant 3 ans pendant que la maman travaillait. Il a fait deux fois de la prison ( 4 mois et 8 mois). »


Macela va à la barre, il a l’air vraiment triste. Il se dit très timide, il a eu un début d’AVC, il évoque l’accident de son enfant et le Président le fait parler de son parcours de délinquant, Macela se dédouane un peu « Contrairement à mon ami Mothir j’ai pas été épargné par le quartier là où je vivais tous les 100 mètres y’a un point de deal » Macela ne s’épanche pas, il répond un peu du bout des lèvres, limite passif. A un moment sa voix se casse il ravale des larmes en parlant de ses différentes condamnations un peu subies comme s’il était obligé d’en passer par là, « C’est le destin ? Ou la personnalité ? » demande le Président qui a l’air de penser comme moi, « un peu des deux » concède Macela. La Défense de Macela évoque le « purgatoire » de son client et lui demande : « Comment ça va? » c’est le procès du comment ça va? Bah ça va comme un mardi. Macela :« Ca va mieux là » il aime la crêperie où il travaille, il se trouve stable  « je vois un meilleur avenir pour. Moi et mon fils » encore sa voix se remplie de larme et c’est la pause  de midi et je vais la passer avec la police car je n’arrive pas à trouver un distributeur. Tous les accusés regrettent, ils sont tous respectueux mais y’a quand même une victime qui a de graves séquelles, je pense qu’ils vont prendre cher l’évocation des faits ne pardonnera pas, je crois que c’est demain. Dans la salle je suis sur la gauche, les accusés à droite, à peine deux mètres entre eux et moi, Merlin à la voix douce quand il parle mais son regard est dur quand il est dirigé vers moi, dès que je tourne la tête vers les accusés Merlin me fixe, il m’observe déjà, c’est un peu bizarre.

On passe à Kouao et sa personnalité, son surnom est Rico il est né en 1992, l’enquêtrice dit : « Kouao est souriant, cordial, bonne maitrise du langage, parents très investis, sa maman vient d’un milieu où on travaille à l’ambassade, ses parents se sont séparés quand il avait 9 mois, d’elle-même la maman reconnait avoir fait barrage pour que Kouao ne voit plus son père, cependant le papa de Kouao fait des manœuvres clandestines pour voir son fils, il va voir ses match de foot, mais Kouao croit que le nouveau mari de sa mère est son père, Kouao ne sait pas qu’en fait son père biologique il ne le connait pas. Un jour Kouao a 7 ans et son père biologique vient le chercher à l’école, et il le garde pendant 6 mois, la maman ne s’est pas vraiment inquiétée de ça, elle était même soulagée vu qu’elle vivait une grossesse difficile. Kouao à ce moment-là ne sait pas qu’il vient de rencontrer son père, Kouao après revient vivre avec sa maman, ils vivent dans 150m2 puis à 15 ans il retourne chez son père biologique pour l’éloigner des mauvaises influences, Kouao a un fils, au moment de sa naissance il était en garde à vue, à 15 ans il rentre dans les stup son père va voir les dealer pour qu’ils laissent son fils tranquille et propose de payer ses dettes, Kouao me dit qu’il lit des livres, il cherche les mots dans un dictionnaire, il lit aussi le code pénal, il est gentil, naïf, oblatif, il est le moins nerveux d’après sa maman, il a un cousin homosexuel et aucun problème avec ça il dit qu’il l’accepte comme il est, il dit avoir l’alcool mauvais, il fume trois ou quatre joints par jour, il a eu  trois condamnations pour des stup »

Le procureur commente : « Bon c’est pas Pablo Escobar ni 500 kg de cocaïne via le Brésil comme j’ai actuellement mais c’est déjà important ! » Kouao se lève il a son polo gris mouillé de stress : « Je voulais exprimer aux victimes que j’ai commis quelque chose de grave, au jour d’aujourd’hui si on est aux assises c’est ma faute majoritairement, oui j’ai des petits problèmes d’alcool, Merlin c’est mon copain c’est comme la famille il a pas de père mon père l’a pris sous son aile il vient manger à la maison » Kouao a la voix hésitante et le souffle court. Un rapport de prison est lu, Kouao a tenté de travailler/aller à des ateliers mais à chaque fois il abandonne, ce qu’il aime en prison c’est trainer avec ses copains pour autant sa détention se passe bien. La défense le fait parler de sa détention et Kouao explique qu’il est avec des criminels, des violeurs, des terroristes, des gens sales, il semble s’en offusquer, Kouao est celui qui a mis 12 coups de casque à la victime.

 Et c’est la fin des enquêtes de personnalité, Hervé n’est pas passé pour un problème de planning, on commence une visio avec une experte psy et c’est insupportable, le son marche mal alors elle dit ça : « J’entends rien..ah j’entends un écho, j’entends ..non …oui non je sais pas Monsieur le Président » elle a fait l’expertise de cinq des accusés donc ça a duré 2h à entendre du bruit, des grésillements et en saccadé. Elle évoque Kouao, pas de maladie mentale, sur les faits il dit que ça a gâché sa vie, réfute la circonstance aggravante d’homophobie dans le crime, l’experte préconise une psychothérapie. Macela, pas de maladie mentale, en dépression  sur les faits il dit que tout s’est passé très vite, il a mis un ou deux coups, il ne voulait pas tuer, il ne savait pas que des victimes étaient homosexuelles il dit à l’experte « Si vous saviez ce que je regrette, pour la victime sa famille » l’experte conclu en disant que plus Macela en parle de l’affaire, plus il a des regrets et il pleure. Merlin pas de maladie mentale, un peu déprimé, il reconnait avoir donné des coups, il met ça sur le compte de l’alcool, le groupe, il dit qu’il pense beaucoup à la victime et que « c’est un truc à plus jamais refaire », Mothir pas de maladie mentale, intelligence supérieure à la moyenne, l’experte nous apprend qu’il fait 1m60 ce que j’ai beaucoup de mal à croire vu qu’il m’arrive aux épaules et je fais 1m64, sur les faits il a dit avoir essayé de s’interposer (la victime fait 2m et est baraquée, lui donc 1m48 selon mes estimations) il reconnait avoir tapé la victime sans avoir compris qu’elle était à terre, il dit à l’experte : « C’est la honte, les victimes sont des gens bien j’aurais du partir, je travaille au conseil général j’ai gâché ça en 10 minutes. » Il trouve normal de payer des dommages et intérêts. Hervé le cinquième dont on a pas entendu parler encore, il est né en 1989, parents modestes mais famille unie, il a un enfant, il a une dizaine d’antécédents judiciaire, pas de maladie mentale, pas d’effondrement du moral, il est un peu triste, il peut parler autant de cinéma d’auteur que de foot, il est assez profond, pour les faits il les reconnait, il a frappé il dit  à l’experte :« On a déconné, on a jamais voulu le tuer je regrette d’avoir fait tant de mal, pas d’être en prison je mérite, je serai condamné, j’ai vu les vidéos des coups de casque c’était horrible à voir » l’experte dit : « Il est ému et sincère », demain la parole aux victimes !

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