La morte vivante

« Manue faut qu’on se relaie là, faut que y’ait toujours quelqu’un avec elle là » c’est Régis qui vient d’arriver, je suis allongée sur le canapé il vient de voir maman il me dit « elle m’a serré la main, les yeux je vois que quelque chose se passe, on peut se relayer là, repose toi j’y vais » mais moi j’y suis depuis 3 semaines en fait. Il est 15h41 on est mercredi.

Je sors fumer une clope j’y arrive plus à retourner dans cette chambre où je dors, où elle va mourir c’est la chambre où mon grand père est mort, la grand mère aussi, on a veillé papy et mamie et là ma mère, ne dormez jamais dans cette chambre vous y mourrez, j’y passe de moins en moins de temps elle me fait gerber cette chambre. 15h45 je suis dans la chambre. Tout son corps tremble. Je déteste la voir trembler comme ça. 16 h l’aide soignante arrive je lui demande de pas faire le soin, je ne veux pas qu’on la touche, elle prend juste la respiration elle est à 3.

J’envoie un message à Jeanine et Mumu « je pense qu’elle ne passera pas la nuit » elles arrivent chacune leur tour pour dire peut-être, sûrement au revoir. 17:09 elle me dit « t’inquiète pas manou » elle ne pisse plus, n’a pas mangé depuis 6 h du mat, pareil pour l’hydratation, le corps s’arrête. Mumu me dit « j’aimerais qu’elle parte là avec nous 4 » moi je dis que j’aimerais pas ça du tout, ça doit être avec moi et c’est tout.

J’ai demandé à être seule avec elle. Elle ouvre grand le bras gauche pour m’enlacer, on s’embrasse, avec moi elle parle un peu elle me dit « Ma chérie » « ma minouche » la medecin qui doit procéder à l’injection demain me téléphone, elle a eu des échos je lui dis que c’est probablement pour cette nuit, « oui avec vous, au milieu de la nuit elle lâchera » pendant ce temps Regis et jeanine sont partis boire un verre chez Mumu. J’ai dit à maman « maman je pense que tu vas t’endormir cette nuit pour toujours tu comprends ? » elle m’a dit « oui » et elle avait l’air « contente » je dirai.

On reste ensemble 1h30 à peu près, puis Régis revient, je lui dis qu’on va se coucher très tôt et comme je me réveille dans la nuit très tôt « je verrai » . Regis me dit « merci pour tout ce que tu as donné merci pour elle tu as été extraordinaire » j’lui réponds « vas y Régis me casse pas les couilles à me sortir le blabla des psy tu la vois maman dans le lit ? Elle m’a fait me sentir extraordinaire dès mon enfance c’est à cause d’elle si je suis arrogante » Régis me dit « je prendrai de tes nouvelles t’es en numéro 1 sur ma liste, et puis ce qu’on a vécu aussi avec les copines [jeanine et Mumu] ça a été très intense ces 3 semaines tous les 4 » il me tape sur l’épaule comme au rugby, comme d’hab, comme des bonhommes. Il me dit que demain il n’ira pas au bistro voir ses copains à cognac « si t’as besoin de moi … » il est 19h30 on est déjà fatigués. J’ai décongelé des poissons et je les ai faits cuire, un pour le chat de maman un pour les chats du quartier je savais que demain à 4 ou 5 h je n’aurai pas la tête aux croquettes.

On s’est mises au lit tôt, j’ai tenté de lui donner à boire sans grand succès et je l’ai embrassée fort, je lui ai dit « tu peux lâcher, tout ira bien pour moi, je reste près de toi » je savais qu’elle ne passerait pas la nuit, c’est comme ça, je le pensais vraiment, ces choses là se racontent autour d’un verre de chardonnay ou d’absinthe, tout ne s’écrit pas pour différentes raisons, j’ai actionné les deux pompes pour sa nuit, ses heures qu’il lui restait, qu’elle ne souffre pas et qu’elle ne fasse pas de crise d’épilepsie, j’ai pris mon anxiolytique, j’ai mis un réveil très tôt pour la nuit.

Je me suis endormie, le réveil a sonné à 2 h du matin, j’ai entendu un bruit, un genre de hoquet mais c’était pas ça, très régulier, très fort, je me suis levée j’ai cru qu’elle souffrait de ça peut être, ça semblait douloureux elle fronçait, peut être que c’était ça quelqu’un qui s’étouffe, alors j’ai actionné encore les pompes. J’ai tenté de me rendormir mais le bruit du « hoquet » était trop fort, trop régulier, j’ai pris ma couette et l’oreiller et je suis allée dans le salon, en pensant à ce que Anne m’avait dit la veille « il faudra peut être que tu partes pour qu’elle parte aussi » et puis je me suis dit en fait elle est dans le coma, c’est ça c’est le coma, j’étais sereine il n’y a pas d’autres mots, j’ai préparé le café je suis sortie fumer, à 3 h je suis retournée la voir j’ai actionné de nouveau les pompes et là… elle a ouvert un œil, tourné la tête vers moi, bouche ouverte, elle n’était pas dans le coma mais elle n’avait plus conscience de qui j’étais je pense, elle avait l’air « perdue » j’ai eu très peur, j’ai pris sa main bouillante, alors qu’elle est froide depuis 10 jours, je lui ai redit « pars, ça va je prends mon petit déj tout va bien tu peux partir vas y maman » je suis allée prendre un deuxième café. 4 h du mat j’ai pris ma douche, après je suis retournée actionner les pompes, on peut le faire toutes les heures.

Moi je voulais qu’elle parte cette nuit, que je profite d’elle avant d’avertir les autorités compétentes, mais là son putain de corps ne lâche pas ils vont venir l’endormir tout à l’heure. 5:18 j’ai remis les pompes et je me suis allongée sur le lit dans le noir, le « hoquet » est revenu j’ai pensé que c’était peut être ça le râle de gorge, qu’elle se préparait à ça, en fait c’est comme quand un chat degueule et que son estomac se soulève c’est horrible à entendre, c’est un peu similaire à ce qu’elle a sauf que c’est pas l’estomac c’est plus au niveau du diaphragme, de la gorge je sais pas. Moi je déambule comme un zombie dans la maison depuis 2 h du mat, le zombie c’est moi la morte vivante c’est elle, ou l’inverse, je sais que là le max c’est cet œil ouvert mais il n’y aura plus jamais rien d’autre, c’est fini on ne communiquera plus elle est déjà ailleurs.

L’aide soignante arrive, la même qu’hier soir on parle un peu elle me dit « j’ai cru aussi qu’elle allait mourir cette nuit vu son état j’ai prévenu tout le monde qu’elle était en train de mourir » je préviens l’aide soignante de ce qu’il se passe depuis 2 h du mat , je lui dis que là je pense que maman n’ouvrira plus les yeux et ne parlera plus, l’aide soignante et moi rentrons dans la chambre, maman ouvre grand les yeux « bonjour »

Je suis sous le choc, l’aide soignante aussi, elle me dit qu’elle a pas besoin de moi pour le soin je lui dis que j’arrêterai de faire le soin quand maman sera inconsciente là c’est pas encore le cas, c’est très dur j’y arrive pas je suis sous le choc pendant toute la toilette, on s’apprête à l’habiller quand soudain je vois de la mousse au bord des lèvres de maman je crie « elle a de la bave là ?? De la mousse?? » elle est en train de faire une crise d’épilepsie? Elle est en train de mourir ? l’aide soignante me dit de sortir immédiatement je fais 1000 kilos je fais 10 grammes « sortez tout de suite !! » je sors et regis vient de se réveiller il capte que dalle j’enchaîne les clopes pendant que l’aide soignante est avec elle, elle sort au bout de 20 minutes me dit que c’est une réaction possible juste avant la mort, qu’elle lui a injecté 2 doses « là elle dort » l’aide soignante me dit qu’elle a vu que j’étais tétanisée elle me prend dans ses bras, regis à côté est incapable d’avoir ces gestes là c’est un rugbyman

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