Un procès qui s’enlise

Mardi 27 octobre 2020. 32ème audience.


Aujourd’hui nous poursuivons l’interrogatoire d’Ali Polat. Je n’arrive pas à le croire lorsqu’il évoque son argent, son trafic de drogue. Mohamed Farès et Abdelaziz Abbad sont deux gros trafiquants de drogue, j’y crois sans souci ; Farès ouvre son point de vente de 10h à 22h et a des « petits » qui vendent pour lui, Abbad quant à lui pour une histoire de territoire a commandité le meurtre de quelqu’un. Ali Polat, il est fainéant, on l’imagine en gros fils à maman qui lui verse des Miel Pops le matin et lui il se gratterait le ventre. Certes il aime l’argent mais sans le travail à côté, qu’il soit légal ou pas. Il est vantard, pourtant jamais il n’a montré qu’il avait de l’argent à qui que ce soit. Il aime tellement sa mère, pourtant il ne lui a jamais offert un bijou, ou un manteau en fourrure, quelque chose de cher. Quelque chose ne colle pas d’après moi et je pense que Polat est surtout un gros fanfaron. Tout converge vers Polat mais encore une fois il n’y a pas de preuve flagrante. Son amour de l’argent aurait pu l’aveugler, son amour de l’argent aurait pu le mener à se fournir des arme ? Il y a peu de doute là-dessus mais ce procès s’enlise, chaque jour nous avons les mêmes interrogations que la veille. La vérité ne sortira pas de ce procès, on n’est pas plus avancé que le 2 septembre. Les questions resteront en suspens, les réponses sont comme la vérité : ailleurs, dans les non-dits, ce qu’on ne sait pas, ce que les accusés ont réussi à cacher. Aujourd’hui est le dernier jour pour les accusés, demain il y aura confrontation entre eux, sûrement avec des cris, des invectives, un spectacle mais rien d’autre. Ce procès était un puzzle, il manque beaucoup de pièces et les familles de victimes resteront sans réponse. C’est d’après moi un échec total.

Le Président fait lever Ali Polat : « Alors, il n’y a pas d’éléments dans le dossier de contact avec les frères Kouachi et vous vous demandez comment vous pouvez être complice, alors on va aussi parler de ça, les deux attentats auxquels sont liés les assassinats de Clarissa Jean-Philippe et Frédéric Boisseau et la tentative sur Romain D. le jogger. Alors y’a des organisations terroristes qui revendiquent les attentats. Pour Charlie Hebdo, c’est revendiqué par Al-Qaïda et pour l’Hypercacher c’est l’Etat islamique. Les auteurs sont aussi connus, c’est les Kouachi et Coulibaly, y’a aucune difficulté dans ça. On sait aussi de façon claire que les attentats sont concertés et synchronisés, Coulibaly le dit dans sa vidéo par exemple, les deux actions sont liées, celui qui participe à l’un peut être en lien avec l’autre et la logistique bah elle vient pas d’Al-Qaïda ou de l’Etat islamique. On sait RIEN pour les frères Kouachi faut le reconnaître. On sait juste que les armes sont d’ex-Yougoslavie c’est clair et net on ne sait rien ! Sauf que… Il y a des liens entre les deux attentats, notamment dans les communications le 7 janvier. La logistique de l’Hypercacher, on a beaucoup d’éléments. Ce qu’on voit c’est que de par Coulibaly la logistique elle a été déléguée notamment par les gens ici dans le box, y’a pas de difficulté. Mais en fait un attentat c’est pas que des armes, c’est aussi une logistique. Coulibaly a eu des armes, un appartement… Les armes on sait d’où elles viennent, de chez Hermant et on essaye de reconstituer la chaîne alors là-dessus votre rôle est important on va le voir. Vos liens avec Coulibaly sont anciens et profonds et y’a une accélération en 2014 et si on voit la téléphonie du 22 novembre 2014 au 7 janvier 2015 vous échangez avec Coulibaly 478 contacts. Bon par exemple avec Metin Karasular vous avez 131 contacts et vous en avez aussi avec Willy Prévost. On remarque que Coulibaly a su créer une situation de dépendance envers ceux qui lui étaient redevables. Vous lui deviez de l’argent, Willy Prévost aussi et Coulibaly il use ces personnes. Dans tout cela il apparaît, et on en a parlé, que vous apparaissez comme je dirais le bras droit de Coulibaly. Je vais vous lire deux extraits. Metin Karasular vous décrit comme étant le soldat face à son commandant, Willy Prévost lui il dit que lorsque Coulibaly n’était pas là c’est vous qui disiez quoi faire, c’est simplement un exemple. On s’aperçoit que vous avez une ligne dédiée avec Coulibaly et Willy Prévost et que vous vous contactez au moment où il y a les achats des gilets tactiques ou les couteaux ou la voiture et là on s’aperçoit que c’est vous qui gérez ça… » Me Coutant-Peyre interrompt le Président : « Je vais crier s’il le faut ! J’avais pas compris que c’était le réquisitoire encore, c’est PAS aujourd’hui ! » Le Président : « C’est une question ! Je dis ce que je veux ! » et Ali Polat répond : « Bon, déjà, bonjour. Willy Prévost quand il dit pour les gilets j’étais pas là. Ensuite y’a l’ADN inconnu là, M14. Moi les Belhoucine je les connais pas comme les Kouachi. Après, la Belgique, si le Grec nous aurait payé t’aurais pas eu de voyage là-bas. Vous dites que Coulibaly et moi on parle à partir du 22 novembre. Bah oui, on cherchait à vendre la Mini. Après, Willy Prévost il coopère vraiment avec la justice, il allait se faire casser la gueule, il ment ! Moi, le bornage… » et il part dans tous les sens, il mélange tout, il ne cesse de parler même quand le Président parle et il commence à parler d’un truc et ne finit pas. Il charge Willy Prévost. Le Président : « Alors y’a un problème c’est que Willy Prévost le 6 janvier il dit que vous êtes là pour la moto et vous vous dites que vous êtes en Belgique. Vous dites que vous avez été flashé deux fois à l’aller et au retour, c’est pas de chance hein ! Mais le problème c’est qu’on ne retrouve pas trace de ces contraventions et votre téléphone ne borne pas en Belgique donc, euh, désolé mais c’est votre parole contre celle de Willy Prévost là ! » Ali Polat regarde Willy Prévost droit dans les yeux, il le fusille du regard. Le problème c’est que Willy Prévost a la tête entre les jambes, comme toujours. Le Président rappelle à l’ordre Ali Polat et lui dit que c’est la cour qu’il doit regarder. Le Président : « Bon, vous contactez  quand même Willy Prévost 13 fois à ce moment-là. » « Non ! » Le Président : « Si ! Y’a les preuves ! Alors, ces contacts ? » Ali Polat : « On montait des arnaques. » Ali Polat donne le la aujourd’hui, même le Président a oublié de lui poser plein de questions et se laisse totalement bouffer par cet accusé qui crie plus fort que lui. Il mène le débat, il y a du bruit du côté des parties civiles, le Président s’en rend compte et crie à Ali Polat : « Hey, c’est pas vous qui décidez, vous inversez les rôles ! Dites-nous depuis quand vous connaissez Willy Prévost ! » Ali Polat : « Vers Octobre-Novembre. La différence entre lui et moi, c’est que moi je rembourse les dettes. Je me lève le matin pour faire de l’argent. » « C’est pas ce qu’a dit votre mère hier ! » « Ouais ouais, bon, ma mère… Bref. » le Président : « Oui, bref hein ! » Le Président lui dit qu’il a été confronté à Willy Prévost en audition et que le problème c’est qu’en audition Ali Polat dit juste « C’est faux » à tout ce que dit Willy Prévost et là aujourd’hui il donne des raisons. Le Président lui dit que si la raison des contacts c’est des arnaques, pourquoi Ali Polat cache ça dans une affaire de terrorisme. Ali Polat, grand seigneur, explique qu’il n’est pas une balance. Le Président : « Willy Prévost vous balance pourtant… J’aimerais savoir pourquoi il vous met en cause, notamment pour quelque chose auquel il n’a pas participé comme le go fast en Août. » Ali Polat : « Mais il ment ! » et il repart dans les décibels, il crie « C’est faux ! » à chaque fois que le Président énonce des choses avérées alors le Président lit la confrontation entre Willy Prévost et Ali Polat, Ali Polat change de sujet, le Président crie : « NON NON NON… Bon, ok ! » Il est complètement dépassé. Autant hier il a très bien mené l’interrogatoire, autant là il est bouffé par l’accusé, et c’est dingue mais on ne peut pas s’empêcher de voir un parallèle avec le procès, ce Président qui se laisse dépasser par des témoins qui ne veulent pas venir ou qui lui répondent de manière insolente. Une avocate partie civile pète les plombs et crie sur la cour et le Président l’engueule à son tour, c’est la foire.

Chez Metin Karasular on a trouvé une liste d’armes écrite par Polat. Celui-ci a donné 1436 euros à Metin Karasular et le prix d’un Tocarev est de 1400 euros. Polat s’explique : il avait donné cette somme pour un acompte de voiture mais Metin Karasular a dit que c’était par gentillesse, qu’il n’y a jamais eu de voiture. Ali Polat hurle encore : « Il ment ! C’est un mytho ! » Le Président : « Donc tout le monde ment, Willy Prévost, Metin Karasular ? » Ali Polat s’emporte, traite Metin Karasulat de « chien » « nique ta mère » « clochard » et enfin de « sac à merde ». Le Président : « S’IL VOUS PLAÎT ! » Ali Polat parle de lui-même des gens qui l’accusent et dit qu’Abbad est aussi un menteur : « C’est un assassin, faut le dire, et il se dit millionnaire. Vas-y, ma gueule, frérot pour sortir 11 000 balles c’est compliqué ! » Le problème c’est qu’Ali Polat raconte une très belle histoire dans laquelle il est innocent de tout mais ça ne marche pas. Il réfute le sac d’armes sauf que ce sac d’armes existe bien et il est confirmé par Abbad, Martinez, Karasular, Catino parmi les accusés, puis par les gens qui ont caché ce sac d’armes et qui sont venus témoigner. Mais encore une fois le Président ne le met pas face à ses contradictions et reconnaît même sa défaite : « On va changer de sujet. Peut-être que les parties civiles poseront des questions mieux que moi. Au moins j’ai essayé ! » Un gros aveu d’impuissance à gérer un accusé comme Polat. Et Polat se croit tout permis, les insultes, le tutoiement aux avocats, au Président, les « ma gueule » lancés au Président, celui-ci ne dit rien face à un Ali Polat déchainé et survolté. Avant de passer la main aux parties civiles, le Président termine : « Alors, y’a quelque chose qui m’intéresse, c’est les puces téléphoniques et surtout une. Coulibaly, le 5 janvier, il vous donne une puce et un téléphone qui se termine par 02. Le problème c’est qu’il donne aussi un téléphone et une puce à Cherif Kouachi qui se finit par 01. C’est ce qu’on appelle des numéros flottants, ils sont achetés ensemble, c’est le même numéro sauf le  dernier chiffre. Et donc vous qui avez des contacts quotidiens avec Coulibaly le 7, 8, 9 janvier, rien du tout, y’a rien, pourquoi ? » Ali Polat explique que le 5 janvier 2015, Coulibaly l’a engueulé car il n’avait pas l’argent de la voiture et Coulibaly lui rajoute même 10 000 euros de dettes. Du coup Polat essaye de ne pas le contacter car « c’est tendu ». Le Président lui dit qu’en garde à vue il a dit que Coulibaly lui avait demandé de casser sa puce. Alors Ali Polat s’embrouille et reparle encore une fois du meurtre du gamin. Il parle aussi de Willy Prévost, qui répond un truc dans son box. Ali Polat hurle : « POURQUOI TU T’ENERVES, SAC A MERDE ? » Le Président : « ÇA SUFFIT ! SUSPENSION POUR DIX MINUTES ! »

Au retour, le Président parle à Ali Polat de son comportement en prison. Il a eu quelques problèmes de discipline et personne n’est étonné. Il a passé 73 jours au mitard, du coup il avait des couverts en plastique mais Polat dit « je mangeais que des sandwiches jmen fous ». Et le rapport QER qui évalue la radicalisation des prisonniers a dit qu’il était franc et sans filtre, que la pratique religieuse ne comptait pas pour lui, il n’a aucune idéologie religieuse mais un gros ancrage dans la délinquance. Il a comme envie « d’être avec une fille cultivée, genre bobo parisienne et faire la côte écossaise avec un Range Rover et visiter les distilleries de whisky ». Assez loin de l’Etat islamique tout ça. Ali Polat crie : « Mais c’est vrai !!! Jvais reprendre la drogue quand même ! » Le rapport décrit qu’Ali Polat souhaite « devenir millionnaire et faire tourner l’économie française à sa manière. Il a une incapacité à assumer d’être affilié à un terroriste. » Le Président lui demande s’il se reconnaît dans tout ça et évoque ses projets d’avenir dans la délinquance. Ali Polat confirme qu’il ne veut pas travailler et faire du stup, il ne veut pas faire de mal aux gens. Le Président lui dit que dans la drogue les overdoses ça existe, Polat dit qu’avec lui justement non. Et c’est la pause déjeuner.

Au retour, l’avocate partie civile qui avait été agressive avec le Président demande pardon. Elle parle à Ali Polat de la liste d’armes et vu que la liste contient des munitions elle lui dit : « C’est bizarre, du coup on se dit que vous avez déjà les armes ? » Ali Polat dit que c’était juste de la curiosité. L’avocate lui fait remarquer à quel point hier il a été d’un calme olympien lorsque Madin, la personne qui aurait pu corroborer le meurtre du gamin et donc « innocenter » Polat,  n’a rien dit de tout ça, c’est une chose qui a été remarquée par tout le monde, Polat crie tout le temps mais hier, rien. Il explique qu’il a été très étonné de voir Madin témoigner. Il pensait qu’il allait se faire interpeller en live au tribunal comme dans une série américaine en fait, et puis il dit : « Je voulais pas que le Président il crie. » C’est super drôle. L’avocate pose d’autres questions et comme d’habitude Ali Polat répond à côté mais l’avocate n’a pas la patience du Président alors ça s’embrouille et crie encore plus. Elle l’interroge sur son déplacement à l’Hypercacher le 28 janvier, une sorte de pèlerinage. Ali Polat explique qu’il lisait les mots sur les barrières de l’Hypercacher en hommage pour les victimes : « J’en ai le droit. » Un autre avocat lui parle des photos retrouvées sur son iPad, il parle de la couverture de Paris Match, de Léa Seydoux et les photos elles étaient dans la mémoire vive car il a juste lu des articles de presse. Un autre avocat partie civile lui lit une de ses dépositions : « Je suis plus pervers que terroriste. » il lui demande la proportion : 80/20 ? 60/40 ? Ali Polat parle de son rapport aux femmes et même des films porno sur son ordinateur et d’autres avocats tentent de savoir des choses mais c’est impossible, Polat embrouille, s’emmêle, se perd dans d’interminables explications. Il parle sans interruption depuis le matin.  Il dit : « Vous voulez des réponses qui vous satisfassent » à un avocat partie civile. Les questions partie civile ont duré trois heures, ça n’a jamais été aussi long. L’avocate générale lui dit qu’elle ne croit pas à la dette de 15 000 euros (la police non plus, et moi non plus). Elle lui demande de s’expliquer, encore une fois il s’égare, mais l’avocate générale l’arrête et tente de le ramener dans ses questions. Peine perdue, Polat crie encore plus fort. Elle lui demande si sa conversion à l’islam en mai 2014 a un lien avec la proclamation du califat en juin 2014. Ali Polat fanfaronne, explique qu’il serait devin et non ça n’a aucun lien. Elle l’interroge sur d’autres choses, il ne répond pas, elle lui dit : « Je vais finir par croire que vous cherchez à ne pas répondre… » Et on a tous cette impression. Il est impossible de tirer quoi que ce soit de Polat, on dirait un gamin hyperactif et moi je pars à ce moment-là, ça stagne, ça crie même Amar Ramdani voisin direct de Polat a mis du papier dans ses oreilles pour ne plus l’entendre crier.

En sortant, je vois Me Safya Akorri de la défense, elle fume une clope et s’interroge sur quelque chose. Je lui réponds et lui dis que j’assiste au procès, que je la vois depuis trente-deux audiences et que je dois partir. Elle me dit que j’ai raison, tout ça ne donne rien, ça s’enlise. Elle a un énorme sourire, je l’adore encore plus, on pourrait être des copines avec des clopes et du vin. L’audience se termine quelques minutes après. Exceptionnellement, Ali Polat sera encore interrogé demain alors que nous devions passer à la confrontation mais « tout le monde est fatigué ». Le Président fait l’unanimité dans sa décision d’interrompre la séance. J’ai passé mon anniversaire au tribunal.

M Écrit par :

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