« Est-ce que la DGSI cherche à cacher des choses ? Non »

Vendredi 25 septembre 2020. 12ème audience.

J’arrive avec la certitude que le procès va être annulé/reporté en raison de l’accusé malade et je peste de m’être levée à 5h pour « rien ». Je m’installe. Derrière moi, au deuxième rang donc, des jeunes issus de cette génération jamais contente de rien : « On voit TROP bien ici c’est CHIANT ! »

Chaque matin je vois Sigolène Vinson parler avec les journalistes. Aujourd’hui Simon Fieschi arrive, elle lui fait un câlin. Les accusés arrivent et à ma grande surprise Nezar-Michaël Pastor-Alwatik aussi. Le procès va donc continuer. Le Président annonce que tout va bien et on continue la journée d’hier, du moins l’audition de l’agent de la DGSI, celui qui est en visio-conférence. Et on reprend la vidéo de propagande qui s’était arrêtée hier, il nous restait seulement deux minutes à voir, deux minutes durant lesquelles on voit l’affiche « dead or alive » concernant Charb, façon Far West. A la fin le témoin nous explique la vidéo, ce qu’on a vu, il explique vu qu’elle n’était pas en français que l’ennemi c’est les USA, la France, les juifs, la finance. Il continue avec une chronologie de menaces et il va nous décrire des personnes importantes. En Septembre 2015 il y a de nouvelles menaces sur Charlie Hebdo et en particulier sur Luz. En Septembre 2020, de nouveau, une vidéo qui menace la rédaction de Charlie à cause de la republication des caricatures. Il nous explique les relations et environnement des frères Kouachi. En 2004/2005, dans le cadre du conflit en Irak il y a donc l’affaire de la filière des Buttes Chaumont pour envoyer des gens combattre en Irak, en tout à peu près 2000 combattants sont envoyés là-bas en 2005. C’est l’époque des vidéos avec des otages qu’on décapite, l’enlèvement de journalistes, une période de grande violence. Dans ce contexte-là Farid Benyettou et Boubaker El Hakim créent la filière dans le 19ème arrondissement de Paris avec des appels au djihad. Boubaker El Hakim part en Irak, on le voit sur des vidéos dire : « Je suis du 19ème tous mes potes dans le 19ème faut qu’ils viennent tuer. » Farid Benyettou lui n’est jamais allé sur le « terrain », il est un genre de gourou, enseigne la religion, il dit que « l’âme se trouve dans un oiseau ». Un petit groupe va en Irak, sept personnes, trois vont mourir là-bas, quatre reviennent dont Peter Cherif. Peter Cherif est en 2004 en Irak, il est interpellé. En 2005 Chérif Kouachi est arrêté avant de partir en Irak, il est condamné à trois ans de prison, dix-huit mois de sursis. En prison le réseau est développé, il rencontre Coulibaly en 2005/2006. Djamel B. est aussi important. Il est Algérien, c’est un individu charismatique qui fait du prosélytisme. Il rencontre Chérif Kouachi en prison, ces trois-là (Kouachi, Djamel B. et Coulibaly) projettent de faire enlever Smain Ait Ali Belkacem, condamné pour avoir été l’artificier des attentats de 1995 à Paris, c’est ce qu’on appelle au procès la procédure « ATWH » ( Al Takfir Wal Hijra). Djamel B. devient un des mentors de Kouachi et Coulibaly. Pendant ce temps, Boubaker El Hakim devient une figure importante de l’EI, il va tourner entre la Tunisie et la Lybie et assassiner des opposants laïques. Une frappe de la coalition le tue le 27 novembre 2016. Peter Cherif lui est en 2004 en Irak, il va effectuer deux ans de prison et réussit à s’échapper. En 2007 il est arrêté en Syrie, extradé vers la France, il comparaît libre à son procès et s’échappe le dernier jour. Commencent six ans de cavale au Yémen où il enlève des gens. « On va travailler beaucoup sur lui en renseignement », essayer de trouver un lien avec les Kouachi. En 2011 Saïd Kouachi est au Yémen. Il y a un autre personnage, Salim Benghalem, ami des Kouachi qui est aussi au Yemen à ce moment-là, il est l’un des geôliers des journalistes français enlevés. « On va faire des fiches S sur Saïd Kouachi, Peter Cherif et Salim Benghalem. » Ils sont surveillés, les lignes téléphoniques, les numéros, ça n’apporte pas grand-chose. On apprend que Saïd Kouachi va à sa formation, qu’il va voir des sites de djihadistes, en gros la routine pour un apprenti terroriste. Il est donc décidé d’arrêter les écoutes concernant Saïd Kouachi. Chérif Kouachi est aussi mis sur écoute, là ça donne un peu plus d’infos, il cherche des informations sur des journalistes, des aéroports, ainsi qu’une maison au Yémen. « Pour lui ou Peter Cherif on ne sait pas, on maintient les écoutes pendant deux ans. » En 2018 Peter Cherif est arrêté à Djibouti. Il parle d’un séjour de Chérif Kouachi au Yémen qui aurait été mandaté pour faire une « mission extérieure ». On entendra Peter Cherif bientôt comme témoin. Pour Coulibaly c’est différent, c’est Mohamed Belhoucine [ndlr : il est l’un des trois accusés absents dans ce procès mais il est mort en Syrie, à priori comme son frère] qui est important, c’est lui qui va amener Hayat Boumeddiene le 2 janvier 2015 prendre l’avion pour la Syrie. C’est très compliqué à comprendre, il y a un nombre de noms, de dates, de lieux et le témoin fait des flash-back, le Nolan de la DGSI, c’est vraiment ardu.

Hayat Boumeddiene est la femme de Coulibaly, elle est aussi accusée mais pas présente dans ce procès. La DGSI a quelques informations sur elle via des écoutes ; elle est heureuse, elle dit à une amie en France : « Ici y’a pas de centre commercial mais c’est beaucoup plus avancé qu’au bled, y’a internet partout et ça c’est génial hamdoulilah. » Elle donne des interviews dans les magazines de propagande où elle dit : « Qu’Allah maudisse la France. » Suite à la réussite de la coalition internationale elle s’est retrouvée dans un camp tenu par les forces syriennes, un camp de 50 000 personnes, elle se serait échappée. Des questions sont posées : Pourquoi Coulibaly n’avait pas de fiche S ? Coulibaly était un petit délinquant avec un léger potentiel de radicalisation. L’assesseur demande : « Le voyage au Yémen, il est dit que Chérif y est allé mais dans le dossier il est dit que Saïd aussi ? », « Ça n’a été que Chérif et il a sûrement pris les papiers de son frère. » Vient le moment de parler des documents déclassifiés de la DGSI. L’assesseur explique que bon nombre de documents sont « caviardés » (il y a des trous). « Est-ce que ça veut dire que le secret est partiellement levé ? Il y a comme on dit des trous dans la raquette  » L’homme de la DGSI : « Je comprends votre frustration et même moi je le regrette. Les notes ont des trous sur l’aspect technique, ça concerne AQPA, pas les Kouachi ni Coulibaly. Ce qui a été déclassifié c’est l’affaire, pas le reste. C’est pas que c’est malsain ou qu’on veut pas montrer. Est-ce que la DGSI cache des choses ? Non. C’est que ça a zéro rapport. Oui il y a un problème sur une note concernant Coulibaly car notre travail a été de se renseigner en prison. Je pense que ces trous c’est dommage personnellement. » Il parle de la surveillance de Coulibaly à un « pique-nique », on va y revenir à ce pique-nique un peu plus tard. Je ne sais pas s’il cherche à noyer le poisson ou pas mais il explique aussi que mettre en places des écoutes c’est compliqué, il faut trois semaines pour obtenir le droit d’écouter, et puis écouter quelqu’un il faut que ce soit motivé. « Je vous donne un exemple. A Nice, on suit un homme qui a voulu partir en Syrie et qui a été empêché. On se dit peut-être qu’il va être énervé de ça donc on le place sous surveillance. Il est à Nice, il sort sur la place, il va boire des bières, ça ne donne rien cette surveillance, on l’arrête. Une heure après il poignarde des gens d’un institut juif. C’est un énorme regret pour moi, pour l’ensemble du service de ne pas avoir eu plus sur les Kouachi. » Et là se passe quelque chose d’incroyable. Alors que le Président l’arrête pour passer à autre chose, le mec de la DGSI continue et il est en train de pleurer, on entend les trémolos dans sa voix : « Ça me tient à cœur, chez nous dès qu’il y a un attentat c’est un échec terrible pour nous, on est au service de la France et on échoue. » Une assesseure pose des questions. Quelle est la différence entre avoir une fiche S et être fiché comme Coulibaly PJ02 ? Chérif Kouachi a les deux par exemple. En fait la fiche S dépend du service de renseignement, la fiche PJ02 du service de police judiciaire.

Les parties civiles arrivent, une avocate de Charlie Hebdo : « On n’a pas de réponse aux questions, et on a beaucoup de questions. » Elle veut savoir pourquoi la surveillance des frères Kouachi s’arrête en 2014. Il réexplique que y’avait plus d’éléments sur eux, que des écoutes doivent se justifier, il explique qu’aujourd’hui il y a à peu près 8000 personnes sous surveillance, des centaines et des centaines de potentialités violentes, que 400 personnes sont parties pour la Syrie et qu’on ne peut pas écouter 24h/24 8000 personnes. Un avocat veut qu’on parle de la taqîya, « la dissimulation », une attitude promue par les organisations terroristes : continuer à fumer, boire, aller en discothèque « comme Mohammed Merah ». Il explique que : « C’est très compliqué de savoir ce qu’il se passe dans la tête des gens. C’est un vrai sujet pour la sortie de prison. » L’avocat qui à chaque fois reproche à la police de pas avoir diffusé la photo de Coulibaly demande : « Dans le dossier il est dit que Chérif Kouachi veut casser des magasins de juifs en France. Il cherchait à avoir le consentement de Farid Benyettou, il y avait un contrat entre eux ? » L’homme de la DGSI : « Ça illustre la relation de gourou que Chérif Kouachi entretenait avec Benyettou. » L’avocat : « Benyettou est venu vous voir, il vous a donné une lettre écrite par Chérif Kouachi où celui-ci disait :  Merci pour ta réponse que j’attendais avec impatience et qui fait plaisir. Cette lettre date de trois mois avant les attentats, est-ce qu’on peut pas faire de lien ? » « Non je ne pense pas que Benyettou aurait amené quelque chose qui l’incrimine. » L’avocat qui persiste : « Cette lettre ne suffit pas, en 2020 en France, à mettre en garde à vue quelqu’un ? » La DGSI : « Posez la question au ministère public. » « Je la poserai. Farid Benyettou vient dans vos services le 8 janvier 2015, soit le lendemain des attentats et la veille de l’Hypercacher, pourquoi ne pas avoir transmis la photo [de Coulibaly] ? Pourquoi lorsque Benyettou vous dit  Je sais que les Kouachi ont vu récemment Dolly  et vous savez que Dolly c’est Coulibaly, pourquoi on ne diffuse rien ? » La DGSI, en PLS : « Je pense que mes collègues d’autres services vous ont déjà répondu. » L’avocat qui ne lâche rien : « Et Djamel B. ? Sa liberté en Algérie ça vous inspire quoi ? » La DGSI, respectueuse des institutions : « Je ne pense pas avoir à communiquer sur une décision de justice d’un pays étranger. » Une autre avocate s’approche et demande si la cible sur Charlie Hebdo était une surprise, la réponse est non. Elle demande ensuite si la fatwa est la plus haute menace et pourquoi alors la surveillance de Charlie Hebdo a été diminuée ? Là encore la DGSI explique qu’il n’y avait pas d’éléments, et « en 2013 à mon sens ça n’était pas si explicite. » « A qui la faute alors ? » La DGSI : « Les écoutes sont l’exception, la règle c’est la liberté pour tous. Il faut justifier. » L’avocat des photos revient à la charge : « Que Farid Benyettou soit élève infirmier à la Salpêtrière depuis trois ans de 2012 à 2015 dans un service public, ça vous interpelle ? » « Pas d’éléments. » « Et sur la sincérité de son repentir ? » « Vous vous ferez une idée lorsque vous le verrez. » Farid Benyettou devait être interrogé hier, c’est remis à plus tard et on va parler du pique-nique.

Le pique-nique où Coulibaly est allé était un pique-nique de l’association « Sanabil » (association dissoute depuis) qui aidait les détenus musulmans. Un avocat demande si Coulibaly était accompagné d’un des accusés. « Oui, Amar Ramdani. » « Est-ce qu’on peut dire que si l’on fréquente cette association c’est qu’on partage avec elle une idéologie radicale ? »  « Tout à fait. » L’homme de la DGSI est interrogé sur l’absence d’un PV qui concerne quelqu’un qui veut rester anonyme, par l’avocat général. En fait on va arriver à Ali Polat dans quelques minutes. La DGSI : « Je vois très bien à quoi vous faîtes référence. En fait un jour on apprend qu’un détenu a des révélations à nous faire sur les armements de la fusillade de Charlie. On l’écoute, il paraît décousu, pas crédible et en même temps il nous dit des trucs où ça se tient. On mène notre enquête, en fait c’est un détenu qui a raconté des mensonges. Ça se dégonfle. Il voulait juste changer de cellule et là où on a mal fait c’est qu’on n’a pas fait de PV pour expliquer cela. On aurait dû pour purger ça. » A ce moment-là on entend un bruit du box des accusés et le Président crier : « Ali Polat vous aurez la parole après ! » L’avocat général continue : « En fait Monsieur Polat pense que le témoin, le détenu qui veut rester anonyme, est celui qui l’a fait tomber. Il pense que ce témoin est Monsieur X » [je n’écris pas le nom] « S’IL VOUS PLAIT ALI POLAT TAISEZ VOUS ! » « Est-ce que vous pouvez indiquer à la cour si ce témoin est bien Monsieur X ? » La DGSI : « Non ça n’est pas lui, je le connais bien et il n’a jamais été question d’Ali Polat par ce témoin. »  Me Daphné Pugliesi, l’avocate d’Amar Ramdani soupçonné d’avoir participé au pique-nique débarque. Elle dit que le pique-nique date de août 2014 et dans le compte rendu de cette journée le nom de son client n’apparaît pas « En revanche le nom de mon client apparaît dans une note du 9 janvier 2015 qui d’un seul coup dit qu’il était à ce pique-nique en août 2014. Alors je veux bien, j’ai regardé les photos donc, et avec Coulibaly il apparaît un homme en djellaba et casquette, une vingtaine d’années et plutôt fin. Amar, levez-vous s’il vous plait. » (Elle rigole.) Amar Ramdani a 39 ans et n’est pas « fin » du tout mais épais, baraque, un bonhomme. « Que dois-je penser de cette note du 9 janvier, Monsieur ? » La DGSI : « C’est une note de la BRP, peut-être ils ont fait un raccourci, faut pas y voir offense. » Me Pugliesi : « Eh bien je le dis haut et fort, MOI JE PENSE QUE CETTE NOTE EST UN FAUX. Que c’est monté de toute pièce juste après les attentats. » Et c’est le tour de Me Coutant-Peyre qui va être dans son meilleur rôle, l’attaque : « Bon… Alors moi jvous le dis hein mais tout le monde pense pareil, c’est très désagréable de pas vous voir, voilà, là de voir là comme dans un HAMMAM, vous faites ce que vous voulez avec les réponses. Enfin c’est PENIBLE. Enfin moi je voudrais savoir votre fonction MONSIEUR TOUT SIMPLEMENT. » La DGSI : « Je l’ai dit en me présentant. » Il réexplique. Me Coutant-Peyre qui a dû pendre de la vitamine C : « BON alors bon alors voilà à priori vous êtes bien informé de ce qu’il se dit ici vu que vous avez évoqué vos collègues qui auraient répondu à mon confrère… » « Je lis la presse, Madame. » « Ah ! La presse ! C’est aussi votre façon de faire vos rapports ? » Et là je vais retranscrire mot à mot ce que dit Coutant-Peyre. Comme elle parle avec cinq secondes de silence entre chaque phrase c’est facile, mais pour montrer la difficulté de la retranscrire : « Bon pfff vous avez quasiment pleuré tout à l’heure en parlant de conviction quand on fait un travail comme ça… mmm protéger avant les drames hein… avant les scènes de crimes est ce que au moment où ça arrive, ça se passe… vous dites bah non, mais pourquoi sur les accusés vous avez pas euh de suivi et que euh bon y compris euh de l’homme… » La DGSI, aussi à l’aise que moi : « En fait c’est quoi la question ? » Franchement on se demande TOUS dans la salle. Me Coutant-Peyre au max : « LA QUESTION : est-ce que vous savez que Kouachi va au Yémen et pourquoi vous ne maintenez pas une surveillance JE SAIS QU’ON VOUS A DEJA DEMANDE JE VEUX ENTENDRE ENCORE UNE FOIS LA REPONSE. » La DGSI abandonne : « Je ne vais pas répéter. », Me Coutant-Peyre, tellement perfide et mesquine : « BIEN. Tout le monde comprend que vous avez failli. Et Claude Hermant ça vous évoque ? Votre service s’est intéressé ? » « Non Madame. » Me Coutant-Peyre, prête à refaire pleurer la DGSI : « JAMAIS ? » « Non, un collègue doit vous expliquer ça… » « VOILA. Donc là on a encore la même réponse tout le temps ! » Elle en a MARRE, elle parle de la procédure pas respectée : « On va pas vous croire sur parole quand même, on veut des preuves ! » Elle rigole car Ali Polat vient de lui dire un truc marrant, seul moment où je la vois se dérider un peu. Elle dit « J’ai terminé. »  Et file d’elle-même la parole à Ali Polat son client, et je comprends pourquoi ils s’entendent bien, il parle comme elle sauf que lui il est chaud bouillant tout le temps : « Pas de problème M’sieur l’président je vais vous les dire les questions quesque j’veux poser. Alors MOI CE QUE JE VEUX SAVOIR C’EST pourquoi y’a pas le PV hein ? Le jour où jsuis venu là y’avait un collègue sur une moto il a remis un dossier il s’est fait exécuter, c’est PAS DES MENSONGES moi jvais vous dire c’est un INDIC me dites pas c’est farfelu ça l’est PAS MOI J’AI RIEN A VOIR AVEC LES SALAFISTES, là y’a la juge Nathalie XXXX  elle signe deux docs et quand même vous allez pas m’inventer ma vie hein ! Déjà ça s’est passé à la patinoire il me donne une enveloppe et un téléphone et vous allez voir sa mère va porter plainte pourquoi vous dites vous connaissez pas l’histoire… » C’est incompréhensible. La DGSI : « Je les connais, je vais pas vous convaincre. » Ali Polat veut continuer, le Président « BON STOP » Ali Polat : « NON ATTENDEZ ! »

Non, c’est la pause déjeuner donc on attend pas je vais la passer en face de Jérémy G. qui est très très beau en vrai sans son masque. J’aimerais lui dire combien son témoignage était magnifique mais du coup c’est un de ses accompagnateurs (peut être le frère de Frédéric Boisseau-Frédo) qui me parle lorsqu’il me voit bailler. Et puis au tribunal tout le monde ne parle que de ça : l’attentat près des locaux de Charlie « à la même heure que le 7 janvier ».

Retour d’audience et arrive à la barre une femme, elle porte un voile rose au-dessus de son voile noir, elle est habillée toute en rose, élégante, je ne sais pas du tout qui c’est. L’assesseur lui donne la parole, elle est confuse, elle s’attendait à avoir des questions. L’assesseur lui dit que non, c’est une audition et après il y a des questions. « Quand même vous devez bien avoir une idée… Vous êtes la femme de Chérif Kouachi. » Voilà, c’est elle, Izzana H.  Elle a 40 ans et est auxiliaire de crèche, elle a vécu sept ans avec Chérif Kouachi. Elle est à la fois très avenante, elle veut répondre aux questions, mais d’elle-même elle ne sait pas quoi dire, et c’est compliqué car l’assesseur n’a pas la patience ou l’humanité du Président. Elle dit que c’était un super mariage puis elle s’arrête longuement, elle demande un verre d’eau. Elle parle beaucoup de Chérif au présent (« Je lui fais confiance », « En fait d’habitude il fait ça ou bien quand il est fatigué il fait pas ça »), c’est étrange. Elle dit qu’elle n’arrête pas de refaire le film du 7 janvier. Elle est sortie et à son retour il y avait les enquêteurs chez elle. « Je n’y croyais pas, Chérif était joyeux plein de vivre .» Le Président ne la quitte pas une seule seconde des yeux, l’assesseur a bien compris qu’elle ne parlerait pas d’elle-même, il faut lui poser des questions. Elle dit que Chérif a été blessé des caricatures « mais rien d’autre ». « Quand j’ai vu Chérif dans la vidéo après Charlie dans la rue je n’y croyais pas, je n’avais jamais vu de détermination comme ça. » Les jours précédents il n’a rien mangé, il avait mal au ventre. L’assesseur doit l’amener là où il veut c’est un peu laborieux. En 2011 Chérif est allé en Turquie, « Il y avait des tensions dans notre couple. » mais en Turquie il lui a dit que finalement il allait à Oman. Il est revenu « un peu distant, il parlait moins ». Elle explique que quelques jours avant le 7 janvier ils ont fait des repérages pour les soldes. Elle dit « avant j’avais un islam rigoriste, je l’ai plus maintenant. » Elle explique qu’ils (elle et son mari) refusaient la mixité. Elle a connu Hayat Boumeddiene, c’était bien, elle était avec elle dans une pièce et Chérif et Coulibaly dans une autre. Avec Hayat elle faisait du taekwondo. Elle n’a pas vu Coulibaly et sa femme de 2010 à 2014 puis en 2014 un jour comme ça, par hasard, Coulibaly et sa femme passent chez les Kouachi : ils reviennent du pèlerinage à la Mecque et ramènent des cadeaux, du parfum, du maquillage, de l’eau bénite, des dattes. Elle explique que de Saïd Kouachi, son beau-frère elle ne peut rien dire, en sept ans elle ne lui a jamais parlé par refus de la mixité. On lui demande si elle connaît un des accusés. Non, aucun. Et c’est dingue mais pour l’instant après trois semaines d’audience les accusés ils sont pas là, pratiquement jamais leurs noms ne sont évoqués, ça me semble dingue. Viennent les questions des parties civiles et ça va être dur : « J’ai l’impression que vous vous posez pas beaucoup de questions et moi j’en ai beaucoup pour vous. Comment vous expliquez les cadeaux du pèlerinage après quatre ans de silence ? » Elle sait pas, elle répète souvent ça. On lui demande d’expliquer son islam rigoriste, elle dit que c’est juste une pratique plus assidue. « C’est tout ? » « Oui c’est tout » « C’est pas vous qui êtes jugée Madame vous savez, vous avez pas des exemples ? » « La mixité, on serre pas la main du sexe opposé. » « Rien de plus ? » « Non, rien. » Est-ce qu’elle condamne les faits ? « Oui, c’est monstrueux. » On l’interroge sur sa pratique du salafisme, sur son absence de hijab, elle explique qu’avant elle le portait. On lui demande de se justifier sur la médecine religieuse pour Saïd Kouachi ; il a utilisé « des ventouses, une pratique du moyen âge ». Là en vrai je ris, ma famille utilisait ça aussi, ma famille de salafistes donc, des salafistes implantés dans le Poitou-Charentes depuis 500 ans. Apparemment ces pratiques sont contraires aux valeurs de la république. Et l’homéopathie alors ? « Pardonnez-moi d’avance Madame… » Bon là on s’attend à une question vache, l’avocate lui demande si elle a remarqué que son mari s’était rasé « les parties » la veille, elle explique que non, elle n’a pas remarqué car de toutes façons Chérif se rasait toujours « à cet endroit-là ». « Est-ce que vous considérez votre époux comme un martyr ? » « Non. » On lui demande si son mari a déjà tenu des discours contre Israël devant elle, elle dit que non et on rit tous dans la salle car c’est pas crédible du tout. On lui pose des questions sur la taille de son appart (20m2). Cuisine américaine ? (Non.) On lui demande sa pratique religieuse actuellement : elle porte le voile, elle serre les mains, elle pratique la mixité, elle fait ses prières. Un avocat lui lit une lettre envoyée par Chérif son mari à Farid Benyettou : « Tu nous manques tu sais pas à quel point », ça lui inspire quoi ? Encore une fois elle ne sait pas, juste que Farid elle l’a vu déjà, notamment son premier jour de sortie de prison, il est passé chez eux. Son mari l’aimait beaucoup. « C’est-à-dire ? » « Il le respectait beaucoup. » « C’est-à-dire ? » Encore une fois, on a l’impression que c’est elle l’accusée, faute de mieux et en même temps ses réponses sont tellement vagues qu’il faut bien gratter. On lui demande ses sources de revenus : « Vous viviez d’amour et d’eau fraîche ? » « Non on avait le RSA. » « Allons Madame ! Nous sommes devant une cour d’assises et vous voulez nous faire croire que votre mari gagnait de l’argent en revendant des choses sur Le bon coin ? » A-t-elle déjà vu Djamel B. : « Mon mari oui, dans le Cantal. Il m’a dit c’est beau y’a la verdure. » Les gens rigolent. Elle ne « sait rien », n’a « rien vu », elle a des réponses déconcertantes de naïveté sur les gens, les évènements, sa vie maritale, on ne sait pas si elle est sincère, si elle a pu vraiment passer sept ans mariée à Chérif Kouachi sans « rien voir » ou bien si elle pratique la « taqîya » évoquée plus tôt ce matin, dans la salle les gens penchent plus pour la dissimulation et relèvent qu’elle pratiquait un sport de combat « c’est pas anodin ». « Madame, êtes-vous remariée ? » « Non. J’essaie de refaire ma vie mais c’est dur. » On pourrait être triste pour elle mais… et là, bam : « Pourtant vous avez entretenu une relation avec Laurent L. [je ne dis pas le nom]. Vous l’avez rencontré comment ? » « Par Tarek, le frère de la femme de Saïd [Kouachi] » « Vous étiez au courant que Laurent L. est surveillé par les services de renseignements ? » La salle rigole. Elle répond : « Oui c’est pour ça que ça n’a pas marché. » Est-ce qu’elle se considérait comme faisant partie d’une secte avant ? Elle dit que oui. Les avocats de la défense arrivent à sa rescousse et lui demandent comment elle vit ce procès. Elle dit : « Très mal. La souffrance que j’ai par rapport aux victimes n’est rien alors je peux même pas imaginer la leur, je n’arrive pas à écouter ce procès. » Me Coutant-Peyre, gentille comme tout : « On a l’impression que vous êtes une accusée de substitution. Vous êtes traumatisée aussi ? » « Oui, j’ai perdu une partie de mon identité. Je suis la veuve de Chérif Kouachi. »

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