« C’est trop tard Camille ça y est elle a atteint le niveau d’indignité qu’elle voulait pas atteindre, ses volontés ont pas été respectées c’est trop tard. » C’est ce que je dis à Camille l’infirmière de coordination mercredi midi, Camille m’appelle pour me dire que demain matin les soins palliatifs viennent à 10 h ils voudraient « parler » à maman, j’explique Camille ça va être compliqué, lundi elle a été confuse jusqu’à 14 h, aujourd’hui à partir de midi, cette nuit à 4 h j’ai cru qu’elle allait mourir, et puis Camille, enfin elle a besoin de voir une troisième fois pour encore expliquer ce qu’elle veut? Alors que ça y est elle est complètement à l’Ouest? Comment on va faire Camille? Camille me dit que c’est aussi pour me parler, et puis ça serait bien que j’aille chez le généraliste de maman pour lui prescrire un médicament pour qu’elle chie encore plus, histoire qu’elle soit VRAIMENT dans la honte la plus totale, alors j’ai encore expliqué Camille que lundi je suis sortie faire des courses, je suis rentrée à 11 h, jeanine m’a emmenée comme d’hab, et que je ne quitterai plus cette maison avant le départ de maman, je ne la quitterai pas je n’ai plus que quelques jours, quelques heures, lundi approche à grands pas, et puis Camille maman est en hospitalisation à domicile si vraiment vous voulez qu’elle chie partout encore plus que maintenant ben vous demandez au médecin de votre équipe, enfin moi je suis pas responsable de ça et j’ai pas le permis. Je commence à être pas cool je le sais je ne supporte quasiment plus rien, je réponds pas gentiment. Maman ne voit rien à 90%, mon visage ça va, elle le voit. Elle boit à la paille, de sa main gauche tremblante elle met la paille dans le nez, je mets la paille dans la bouche, elle bave un peu, ça dégouline, elle retire son tee shirt et on voit sa poitrine, elle ne boit que du sirop d’orgeat et de la limonade. Elle se trompe dans pratiquement tous les mots mais elle m’appelle toujours « ma chérie » ou « mon amour », moi aussi je l’appelle « mon amour » ou « mamounette ». Elle a la tête qui tremble en permanence, ne maîtrise plus son cou, est obligée d’être calée par des boudins et traversins car elle tombe à gauche totalement, et surtout elle sent la mort ça y est, son odeur a changé, forte, épicée, ce n’est plus elle. C’est ça la mort. Après quand la vraie arrive et ben la peau n’est plus la même, il y a la rigidité, pour l’instant juste l’odeur qui change. Voilà on a atteint ce qu’elle voulait surtout pas, et elle avait fait des choses pour que ça n’arrive pas, et moi je m’en voudrais toute ma vie et j’en voudrai à la terre entière. Je suis une rageuse tellement. J’ai une haine tellement forte c’est indescriptible. J’ai la baraque blindée de morphine, elle aurait pu se suicider seule, avant, qu’on en arrive là. Avant qu’elle comprenne ce qui lui arrive car à de rares moments elle capte, « c’est pas une vie » elle m’a dit ce midi en pleurant, je lui ai promis, peu importe toutes ces grosses merdes de médecins, lundi tu n’auras plus rien je te le jure.
On est mercredi, quand Régis est arrivé il a dit « Oulha » en voyant maman, hier je lui avais dit au téléphone « je ne sais pas comment tu vas la retrouver », Régis est revenu aujourd’hui avec du pain qui s’appelle « la drôlesse » les charentais comprendront, maman a dit « ah oui c’est une boulangerie à cognac » on a mangé du fromage, bu du vin et la tarte aux mirabelles que jeanine a amené dans l’après-midi maman ne pouvait même pas voir la tarte alors je lui ai décrite, elle est très jaune, la pâte est marron clair, il y a un peu de crème, et à peu près 97 mirabelles je les ai comptées, je fais une photo de la tarte, je mets une lumière très forte, maman est dans le noir depuis ce matin, elle prend un peu de la tarte et la trouve délicieuse, ce midi elle a mangé une bouchée de melon, une de poire, la moitié d’une pêche de vigne et basta. Après la tarte aux mirabelles elle demande à dormir il est 16:30 sa nuit commence, elle va m’appeler toutes les heures pour lui donner à boire. Régis se cogne/gratte et saigne, je sors les compresses, le désinfectant, je lui nettoie le crâne, on parle littérature, expos, concerts, et vin bien sûr. J’ai retrouvé la deuxième aquarelle qu’il avait faite à maman, je lui montre, il me demande si j’accepte qu’on la mette dans le cercueil de maman, bien sûr Régis !
Aujourd’hui on a reçu la convocation pour l’irm de contrôle à Bordeaux pour le 30 septembre, j’appellerai pour annuler, j’ai déjà annulé quelques rendez vous, il y en a un seul que je n’annulerai pas celui du 27 septembre, à Angoulême chez son cancérologue de merde, ce fils de pute d’Adrien Celui qui aurait dû annoncer la vérité le premier, celui qui a refusé de me prendre au téléphone lorsque j’ai compris le cancer généralisé, la secrétaire au bout de 4 jours d’appels de ma part m’a dit « contactez l’hôpital où elle est » celui qui m’a vue en Mai, qui est resté 10 minutes de consultation et qui a dit à ce moment là « madame Boutinon moi je suis TRÈS optimiste ne vous en faites pas » lorsque j’ai évoqué les risques d’AVC, d’anévrisme, de récidive, il a fait « on en reparle en septembre » il a sorti son magnétophone de connard, a dicté une lettre pour le cancérologue de Bordeaux en disant « Bon ça va je vous l’envoie en septembre ». En mars je ne connaissais pas Adrien. , lorsque je suis arrivée en mars j’ai cherché à le contacter, c’était le cancérologue principal celui du poumon d’il y a 3 ans et donc mon principal interlocuteur, Adrien. n’était pas joignable il venait de prendre son congé paternité et n’avait pas jugé pertinent de faire suivre le dossier de ses patients atteints d’un cancer à ses deux collègues dans le même cabinet que lui, ou bien à ceux de l’hôpital où il est un jour par semaine. Début mars je me souviens avoir dit à jeanine et Mumu « putain Adrien ça a l’air d’être tranquille hein comme médecin le gars se tire comme ça c’est pas un podologue » je veux qu’Adrien vienne dans sa salle d’attente de merde et réalise que Bernadette Boutinon n’est pas là, alors elle peut être où le 27 septembre bernadette Boutinon ? Elle sera au cimetière, voilà Adrien . Et tu en auras rien à foutre, tu pesteras juste sur ma gueule en te disant que j’aurais dû annuler le rendez vous.
J’ai demandé à Régis« tu crois que ça va durer combien de temps? » lui n’est pas optimiste il me dit « 7 jours je pense et je suis sûr qu’elle souffrira à cause de l’arrêt de la cortisone » moi je suis plus optimiste, naïve, bête peut être ? Je réponds « 48 h je pense, ça ira très vite d’après moi » peut être que je me rassure.
Elle m’a appelée de la chambre, elle voulait prendre sa gourde et a fait tomber, je lui dis « tu voulais boire? » « non je voulais faire tomber mais un peu » on rigole, ce soir on a beaucoup rigolé avec les mots qu’elle confond, elle avait un vrai sourire. Je prends à fond. Elle me demande ce que fait Régis je lui dis qu’il regarde « la grande librairie » elle me dit « ah oui ! J’aime bien François Busnel » mais je lui dis que dorénavant c’est Augustin Trappenard. Elle fait une grimace « je l’aime moins lui »
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