23ème chambre 13h00, un couple. Elle en fauteuil roulant, chaussure puma fuchsia, doudoune matelassée beige, des grosses lunettes, un sac à main de marque, noir. Lui en doc Martens noires lacets jaunes, serrés. Il est chauve, a une mallette, un blouson kaki. La cinquantaine. Un couple, des parents. Ils sont perdus, regardent la salle 2.04 : « C’est là ? Oui ? Non ? On sait pas où c’est » je leur demande si c’est pour les comparutions immédiates, la dame me dit oui au bord des larmes, je pense spontanément qu’elle est victime. Elle me dit « Et vous ? » je lui dis : « Moi je viens vous écrire » elle me dit : « C’est dur là il a 18 ans c’est jeune » je comprends que c’est son fils sûrement qui va être jugé, je lui dis juste « Ca va aller » alors que je n’en sais rien elle me dit « Merci c’est très gentil vous êtes très aimable ».
Arrive très vivement une autre mère, aussi ronde qu’énergique son aisance montre qu’elle est une habituée, d’ailleurs elle me dit : « La greffière elle est dans la salle ? Faut que je lui cause » Elle est accompagnée de son mari, un de ses fils, et des frères d’un autre prévenu, elle a des chaussettes Garfield, un chouchou qui retient ses cheveux tirés en arrière.
13h30 on rentre, un avocat m’accueille, demande ce que je fais là et lorsqu’il comprend que je viens juste assister à l’audience il me dit : « Ah !Super excellente idée ! ALORS BIENVENUE » il est charmant et volubile et a l’air cool, il va voir toutes les personnes dans la salle, il rigole avec les avocats, et prend l’air concerné avec les victimes. Des flics préviennent : « Ca va être très long entre hier le jour férié et dimanche y’a seize prévenus c’est énorme ! »
Devant moi il y a deux hommes, des victimes, habillés comme s’ils allaient à un mariage, ils sont prévenus que leur procès va sûrement être renvoyé alors « vous pouvez aller prendre un café non ? » « Non ça me donne une idée de voir les autres procès et puis moi je n’ai jamais vu de criminel ! ». Les avocats commis d’office découvrent les victimes, les parents des accusés, ils ont à peine quelques minutes pour comprendre leur client, en savoir plus qu’un casier, l’avocat volubile vient voir les parents avec la maman secouée d’être ici « Moi je bosse à Pasteur je suis technicien de recherche et ma femme bosse à Necker » dit le papa, ils ont tout amené pour sauver leur fils : des fiches d’impôts, des bulletins de notes du gamin, l’avocat commente : « HEY mais il a des bonnes notes ! Il est au-dessus des autres ! Ah oui y’a écrit bon élève c’est bien oh puis il fait de l’escalade aussi ! » les parents ont amené la carte du club d’escalade : « Mais il en fait un peu moins il a beaucoup de migraines. »
La cour a du retard, sur ma droite se tient le couple ici pour la première fois, sur ma gauche le couple habitué des tribunaux pour leur gamin, la maman très à l’aise demande aux flics : « Vous pouvez aller chercher le frère ? Il est dehors et ça va commencer ! » la police répond : « BAH NON MADAME VOUS Y ALLEZ VOUS-MEME », l’audience commence avec un accusé absent :
Karim né en 1985, arrêté le 1er avril 2021 car il a tabassé sa femme, il est absent « pour des raisons sanitaires, il a le covid en fait » dit le Président, l’avocate de Karim est à la barre, le Président en dit plus sur l’accusé : « Bon donc violence sur sa femme, des gifles, il a tiré les cheveux, et tentative d’étouffement, bon 2019 je vois qu’il a déjà été condamné bah…pour les mêmes faits on va renvoyer l’affaire hein là on parle pas du fond, bon je vois qu’on a des photos de la femme, l’accusé évoque des chamailleries…mmm c’est un couple marié donc oui de la récidive, il a écopé de 6 mois de prison en 2019, 18 mois en 2018 pour toujours la même chose ça fait beaucoup là quand même non ? » Le Président commente un rapport sur la situation sociale de Karim : « Bah désolé je vois écrit situation stable, ok l’accusé est éboueur, il gagne 1560 euros net par mois, en CDI depuis quatre ans mais euh non il est pas stable pas quand on commet ça plusieurs fois, bon ok je vois le monsieur veut le divorce », la procureure demande le maintien en détention de Karim jusqu’à son nouveau procès, l’avocate de Karim veut sa remise en liberté car « il peut aller loger chez ses parents », le Président : « Bah non moi j’ai pas d’attestation des parents là », l’avocate : « Hier c’était férié ils ont pas répondu au téléphone » le Président ;: « Le rapport ? Un jour férié on répond pas au téléphone maintenant ? », l’avocate persiste : « PARCE QUIL A LE COVID je demande la liberté ! » histoire de contaminer et tabasser encore, le verdict sera rendu après le délibéré.
Tata et Juanito rentrent dans le box, Juanito est le fils de la maman « à l’aise » au tribunal, enrobé, des cheveux mi-long ondulés, blanc, il a un sweat gris, il est petit, à côté de lui il y a Tata, mince, crâne rasé, noir, il a aussi un sweat gris et est grand, ils sont « des copains du quartier, Paris 13. »
Tata et Juanito se sont faits attraper pour « vol d’enjoliveur » enfin ça c’est ce que dit vite fait le Président qui arrête tout : « Ecoutez je sais que vous, vous savez faire, changez ça s’il vous plait j’ai froid » « Ca » c’est la clim de la salle, « Vous » c’est la petite huissière qui se dépêche de tout remettre en ordre. Juanito est né en 1996, le 2 avril 2021 il a été arrêté et est jugé pour : Dégradation de voiture, vol, refus de donner son code de téléphone, il est en récidive. Tata son copain et complice est accusé des mêmes choses, il est né en 1998, ils vivent dans le 13ème arrondissement. Ils sont allés dans un parking, rue du Jura dans le 13ème, le gardien du parking ne reconnait pas les deux jeunes hommes il contacte la police qui arrive et : les gosses sont pris en flag. Il y avait un copain avec eux « Babacar mais il est mis hors de cause il est resté dehors sur son scooter », le Président nous décrit le parking (« deux niveaux » la voiture dégradée (« Une Volkswagen »), la doudoune de Juanito (« verte qui a réceptionné des bouts de verre dans sa capuche »), le Présdient s’adresse à Juanito : « Vous cherchiez quoi dans la voiture ? » Juanito explique qu’ils ne « voulaient pas voler en fait c’est un litige avec la victime qu’on a » « Ah c’est étonnant car la victime Jonathan X. ne vous connait pas ! Expliquez-nous ça ! » « En fait on avait un litige on voulait se venger, le litige c’est ..une ptite…mmm une ptite embrouille entre lui et nous et on a été bêtes on a cassé des vitres. »
Le Président ne cherche pas à en savoir plus sur « la ptite embrouille » mais il demande à Tata sa version : « Dans le coffre on voulait prendre l’écrou anti vol pour dévisser les roues » « Ah ! Donc vous vouliez les vendre c’est ça ? » C’est ça. Et à côté de moi la maman de Juanito secoue fort la tête et a les joues rouges de colère. « Alors ce qui est marrant enfin marrant…c’est que le 8 mars 2021 en fait on rapproche ça d’une autre affaire, y’a aussi eu un vol dans ce même parking et d’après la vidéosurveillance vous y êtes Tata, d’ailleurs vous reconnaissez le vol » Mais Juanito lui ne le reconnait pas, il conteste. « Vous êtes filmé pourtant, vous dîtes que c’est pas vous enfin désolé mais c’est quelqu’un de forte corpulence qui vous ressemble avec le siège du véhicule sur l’épaule » le Président montre aux accusés une autre photo avec deux personnes dessus et maintenant Tata réfute cette photo là, « Ecoutez un blanc, un noir, un blanc un peu gros et oui désolé mais on vous reconnait bien ! » rien à faire Tata assure avoir été seul pour le vol, Juanito dément sa présence, Tata explique que pour le vol d’avril en fait « Juanito bah il voulait voir une pute dans l’immeuble [la maman rigole avec le papa, fiers] du coup je lui ai dit que moi pendant ce temps j’allais dégrader le véhicule. »
Les faits sont établis on passe à la personnalité des accusés. Tata est un récidiviste il a été condamné en 2017 et 2018 (Refus d’obtempérer, falsification d’argent, conduite sans permis) Juanito aussi est un récidiviste « Un casier bien chargé » note le Président, il a été condamné à quatre ans de prison pour vol avec violence en 2016, en février 2019 il a pris dix-huit mois (drogue) en septembre 2019 dix-huit mois pareil (drogue aussi). Tata est mécanicien il gagne 1400 euros par mois, Juanito « commence une formation le 12 sur les transports » Juanito fait « des AVC à répétition mais j’ai aimé avoir le bracelet [éléctronique] ça me donnait des heures, ça me cadrait », le Président dit à Juanito : « Votre situation sanitaire est préoccupante vous voyez un neurologue ? » Juanito dit : « oui d’ailleurs j’en vois un le 8 bah c’est demain là enfin bientôt ». La procureure prend la parole elle est très très vieille elle s’adresse aux deux copains : « Vous savez messieurs que vous avez un autre procès qui arrive le 27 mai ? Pour des faits de février ? Ca vous parle ? Et encore un autre pour une autre affaire pour de la drogue plus tard ? Et encore un autre procès pour vol en réunion cette fois ci ? Vous avez toutes les dates de vos futurs procès ? Vous serez là ? » Promis juré Juanito et Tata seront là, entre deux rendez-vous chez le neurologue. La procureure commence son réquisitoire elle est « embêtée…ils ont l’air bien intégrés ça m’embête mais ils commettent des infractions et Tata se sert de ses compétences en automobile pour voler ils méritent d’être sanctionnés. Alors on nous dit que Juanito fait des AVC bon moi je vois dans le dossier que ces AVC ne sont pas légitimés, que ça serait plutôt des crises d’épilepsie bon je sais pas je suis pas médecin » mais la maman de Juanito si, elle a tout le dossier médical du gosse et commence à lever la voix le policier la rappelle à l’ordre : « Taisez vous ou vous sortez », la procureure continue : « Bon pfff je demande 6 mois pour Juanito chez lui là pfff je sais plus comment ça s’appelle la peine là ? Avec un cadre ça l’aide il dit, il est temps qu’il arrête tout de suite, quant à Tata je vous demande 6 mois aménagé » et c’est l’avocat charmeur et cool qui est chargé de défdre Tata et Juanito. Il commence à parler et j’entends un accent je n’arrive pas à savoir d’où il est et puis il dit : « Oune peine aménayé » et donc il est espagnol c’est pour ça qu’il est très sympa, il parle du brevet et du CAP de ses clients et accuse aussi le covid « de pas aider pour le travail ! Je ne banalise pas leurs faits mais regardez les amis, la famille, les frères tous sont là pour les soutenir, la mère de Juanito est une personne vaillante elle sera là pour son fils » lui trouve que les peines ne servent à rien il demande pour ses deux clients des TIG (travaux d’intérêt général) pour Tata et Juanito, le verdict après la pause, le Président demande si Tata et Juanito seraient d’accord pour des TIG les deux disent : « Ok pour les TIG », et l’avocat espagnol va encore parler, vient son nouveau client Abou né en 1981 au Sénégal mais il a la nationalité française et son avocat dit « il n’a pas besoin d’interprète » et en fait si, Abdou était très très difficile à comprendre, un mélange de timidité, de gêne avec le masque et un manque de vocabulaire, le procès a été plus qu’expédié Abdou a été interpellé le 2 avril 2021 pour du « crack » vente et consommation à la frontière du 18ème et 19ème, le Président raconte l’interpellation d’Abdou et il parle comme ça :
« Le jour où vous êtes interpellé, au moment de votre interpellation quand vous êtes interpellé » Abdou reconnait les faits, c’est un récidiviste du crack en 2018 il a déjà été condamné. Il est intérimaire soudeur, il gagne entre 2000/2500 euros par mois « Bah ça va !! » siffle le Président sur l’air de « de quoi tu te plains ? » Abdou voudrait suivre un programme de désintoxication, il dit : « Non j’ai pas consommé » puis « si » puis « non » puis le Président dit : « Bah on a vos urines hein aussi ! » « Alors oui je consomme » concède Abdou. Le Président expédie le procès : « Bon le crack hein ! C’est EXTREMEMENT dangereux vous nuisez à votre santé et à celle des autres ! Bon pas de question ? Non Madame le procureure je vous écoute » la procureure est en roue libre : « Pff c’est un peu n’importe quoi… bon le problème de ce monsieur c’est que les peines ça change rien chez lui, il ne mesure pas la gravité le crack ça tue très très très tès très vite il vend LA MORT et se l’inflige à lui-même, bon il gagne sa vie et le week-end bah il vend la mort voilà ! Moi JVEUX BIEN mais MONSIEUR DANS LE CODE PENAL VOUS RISQUEZ 20 ANS C’EST 20 ANS LA ! Il est temps d’arrêter ! Consommez la mort si vous voulez, laissez les autres tranquilles ! Je réclame 6 mois ! »
Abdou passe de 20 ans « C’EST DANS LE CODE PENAL » à 6 mois, ça va, l’avocat simple et funky arrive et dit « partager le désarroi du ministère public mais vous savez moi j’ai envie de parler de littérature ! Vous connaissez Christine D, ça date de 1972/74 bon ben c’est pareil hein rien ne change ! Oui c’est vieux mais la réflexion est la même ! » Il réclame aussi des TIG pour Abdou et l’audience va être suspendue, on se lève tous en attendant le départ du Président mais celui-ci ne part pas, il veut aider la procureure qui a son siège bloqué « Bah oui mais on va mettre quoi pour bloquer le fauteuil ? Bah le code pénal oh bah…..Non hein bon hein l’audience est suspendue » et pendant ce temps là l’avocat relax va parler à tout le monde, il enchaine des blagues, parle du « romantisme » de certains de ses clients et dit « je coupe la pomme en deux ! », il parle de Darmanin, des repas clandestins, du covid, de bouffe, de concours, de masques, il parle de tout. Il est interrompu, les délibérations durent longtemps, trop longtemps du coup l’huissière explique : « Bon le dossier du schizo c’est renvoyé, celui des violences sur les pompiers aussi oui je sais que les pompiers sont dans la salle bah c’est renvoyé ! Y’a pas le temps là ! » le Président apparait tout le monde se lève, il explique que Karim celui qui est absent pour covid reste en détention jusqu’à son procès qui aura lieu le 7 mai, Abdou 20 ans-6 mois est condamné à 12 mois de prison, dont 8 avec sursis, il a une obligation de soin et a interdiction d’aller dans le 18ème et 19ème, Tata est condamné à 105 heures de TIG , il doit voir un JAP [ Juge d’application des peines) pendant 18 mois, Juanito est condamné à 12 mois de prison , 6 avec sursis « aménagé vous verrez avec le JAP comment faire » et je pars, la dame en fauteuil roulant me « remercie merci merci merci beaucoup vraiment», je sors, il neige pendant ce temps Aïssa est en train d’être jugé pour avoir volé à Michael un sac à dos, de la peinture et du matériel informatique.
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