Les soins palliatifs ou l’hospitalisation à domicile sont admiratifs de ce que je fais « emmanuelle vous êtes formidable » « emmanuelle vous êtes extraordinaire » « emmanuelle nous voyons rarement un dévouement comme ça vraiment c’est un pourcentage très très minime les gens comme vous » j’ai pas besoin de ça, quand ils disent ça ils ont tous un ton de connards à gerber comme s’ils disaient « c’est bon ça » une empathie dans la voix, j’y vois même une dimension religieuse de merde qui me ferait vomir. J’ai pas besoin de ça quand ils me disent ça je leur dis toujours « j’vous ai pas attendu pour savoir que je suis formidable » j’ai besoin qu’ils l’aident, qu’ils abrègent tout ça, pas de me dire que je suis formidable, j’ai un très fort ego depuis toujours je sais que ce que je fais peu de gens l’auraient fait peu importe ce que dira ma connasse de tante. C’est ce que je dis à la psy des soins palliatifs elle est venue, on peut refuser mais c’est conseillé elle est venue pour moi, quand ils m’ont dit qu’elle viendrait « si je voulais » j’ai fait « jmen fous »
Elle s’appelle Carine , elle a 30 ans genre, une jupe plissée, du vernis à ongle aubergine sur les pieds, un tatouage de petasse sur le pied, elle me demande comment je me sens? Sans dec, je suis agressive je lui demande si des gens dans ma situation se sentent bien? On vous dit ça Carine parfois ? « Ça va nickel »? Carine ne dit rien elle note des choses, il y a 10 jours j’aurais rencontré Carine j’aurais pu être sympa là je m’en tape, j’explique que je n’ai que ma mère, pas de frère et sœur, plus de père, pas de couple depuis 15 ans les mecs je les baise et basta alors je suis seule voilà c’est comme ça donc non Carine ça peut pas aller bien, pas du tout.
Carine note chez moi « de la colère » là encore Carine tu ferais mieux de fermer ta gueule bien sûr que je suis en colère, Carine « comprend sans comprendre » et voudrait « comprendre » elle me dit que tout est fait pour que je sois pas en colère que maman est bien accompagnée, j’explose un peu, un peu car je suis capable de bien pire, je pleure fort j’explique à Carine que ma mère se chie dessus depuis dix jours, qu’elle est allongée h24, qu’elle déraille et « voyez vous Carine c’est pas vraiment l’idée que maman se faisait de sa mort si vous estimez que c’est cool prenez donc sa place je vous en prie » Carine « nuance » « je vais apporter un peu de nuance à vos propos » je la stoppe « non j’men tape je suis pas une meuf nuancée du tout » et je continue en disant que maman aurait dû se suicider ici y’a 10 jours, que la culpabilisation faite à maman envers moi sur « ces crises d’épilepsie énormes que votre fille va voir vous trouvez ça bien? » on aurait pu s’en passer largement, que vraiment vraiment elle aurait dû se suicider elle même, Carine me dit que non ça aurait été pas bien j’aurais culpabilisé, mais je culpabilise déjà Carine, je demande à Carine si elle a conscience qu’elle travaille avec une dimension religieuse, catholique, merdique, « comme le christ elle souffre c’est ça? Vous en avez conscience ? Elle doit partir dans la douleur, dans la souffrance c’est ça ? Parce que jesus et compagnie non? » Carine ferme sa gueule de psychologue de province, elle me demande ce que c’est ma vie à paris je lui dis « la vie d’une grosse pute voilà ce que c’est ma vie à paris depuis 20 ans » je lui dis de noter ça Carine dans votre carnet, notez « la fille me dit qu’elle a une vie de grosse pute à paris » vraiment j’insiste Carine, Carine a un sourire elle me dit « votre vie c’est pas que ça emmanuelle je vois bien vous êtes beaucoup plus que ça vous êtes un tempérament » je lui dis si justement c’est ce que je veux et donc c’est ce que je suis je veux baiser, nager, rire et avoir un chat, je ne veux pas de charge mentale je veux avoir comme problème de pas trouver la litière de mon chat dans le 19 eme c’était ça mon problème dans la vie avant le 7 mars, je ne veux pas qu’on me fasse chier, alors si, Carine c’est ça ma vie exactement et ça me convient parfaitement alors tu écris ça s’il te plaît, et oui Carine même si tu veux pas entendre ça j’ai pas de problème à te dire que là ce que je veux c’est me taper un mec et basta là tout de suite c’est ce à quoi je pense dans cette baraque qui pue la mort.
Carine me dit que ça serait bien que de retour à paris je vois un psy je lui dis SANS DECONNER, elle peut me donner des coordonnées si j’ai besoin « Oula certainement pas, j’ai vu un psy longtemps je ne l’ai pas vu depuis 8 ans, et l’autre jour en allant chez le généraliste je l’ai croisé on a parlé je lui ai raconté il m’a dit « je serais là emmanuelle à votre retour il n’y a pas de hasard si on se croise comme ça au bout de 8 ans » je dis à Carine que c’est un psy exceptionnel et au moins lui il me connaît il me sortira pas son prêchi-prêcha de fdp.
Carine revient sur la souffrance, elle comprend que je le ressente comme ça mais elle « m’assure » que maman ne souffre pas, « ah bah si Carine la preuve lorsque l’infirmière s’est rendue compte qu’elle n’avait pas de patch anesthésiant pour maman elle m’a clairement dit ET BAH ELLE SOUFFRIRA VOILÀ donc me dites pas que y’a pas de souffrance a priori ça gêne pas grand monde qu’elle se soit débattue toute l’après midi et qu’elle soit en train de s’étouffer parce que là c’est ce qu’il se passe » Carine écoute, elle doit réfléchir ils ont du lui dire « la fille est cool et aidante elles s’entendent bien merde qu’est ce qu’il se passe ? » bah Carine prend pour tout le monde et c’est pas mon problème, je dis à Carine qu’ aujourd’hui ça fait pile 3 semaines que maman est là, y’a eu 4 jours cool, 2 jours de dégradation intense et qu’en fait ça fait deux semaines qu’elle aurait dû mourir, que là elle est en train de crever comme si on était dans le trou du cul du Bangladesh et les gens viennent me voir avec leur sourire de bonne sœur, c’est le moment où l’infirmière arrive, celle là elle est sympa mais elle me dit « alors emmanuelle vous êtes allée là où je vous ai dit? » là où elle m’ a dit c’est au bout du chemin dans le champs depuis hier il y a 50 cigognes c’est très beau à voir je lui dis que non que j’en ai rien à foutre des cigognes je quitterai pas cette maison même pour faire 50 mètres. L’infirmière s’en va elle me dit « à samedi je pense à toi emmanuelle » j’explose en larme et dit que j’espère que ça sera terminé d’ici samedi, la psy et l’infirmière me disent « on l’espère tous »
La psy me demande à aller voir maman, 2 h que je l’ai pas vue c’est 2 ans, encore plus mal comment est ce possible en vrai putain? La psy m’explique que demain on me demandera de ne plus stimuler maman, ne plus l’hydrater, « des caresses oui très légères mais très peu de câlins très peu de bisous » il faut la laisser partir. Elle me dit en sortant quand même que là ça va très très très mal, certes elle m’a appelée « ma chérie » mais en dehors de moi elle ne semble pas comprendre ce qu’il se passe, je lui ai dit que Régis revient tout à l’heure j’ai cru comprendre qu’elle ne savait pas qui était Régis.
« Tout peut arriver d’ici demain » me dit la psy, elle me parle du râle de gorge lorsque quelqu’un meurt, « c’est rien » « oui enfin c’est un truc de zombie ou d’exorciste non? » « oui mais c’est rien ils souffrent pas les gens » ouais bah ftg.
Je retourne auprès de maman, à chaque arrêt respiratoire je compte, j’utilise le bruit de la trotteuse de la pendule dans la cuisine, elle a soit la bouche ouverte et semble morte soit la bouche fermée et ressemble à François Mitterand, elle est déjà partie à 90%les 10% qui restent c’est ce corps qui ne lâchera pas de lui même putain, demain jeudi ils viennent à 13 h et ça peut durer 7 jours avant qu’elle ne parte définitivement, je sais même pas comment je vais faire si ça dure plus de 24 h à la voir dans le coma « demain vous ne pourrez plus communiquer préparez vous emmanuelle »
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