Il est bientôt 11h30 et la piscine va enfin ouvrir ses portes, les gens trépignent : « 11h30 c’est tard », en plus les mémés qui viennent pratiquer l’aquagym ont « à peine le temps de se changer car le cours commence à 11h45 et moi j’ai encore plus que l’âge de mes artères », il y a une forme de respect entre les habitués mais uniquement si on se baigne dans le même bassin, celles qui prennent les cours d’aquagym se saluent en étant ravies à chaque fois qu’aucune d’entre elles ne soient décédées pendant la nuit, il y a le bassin sportif avec les différentes lignes, « nageurs lents », les palmes, les « nageurs rapides », et la nage « papillon » , il y a aussi le groupe qui se drague dans le jaccuzzi. Enfin les portes s’ouvrent et il faut sortir la thune dans ce froid. Dans les vestiaires chacun respecte les règles, après tout il y est question d’hygiène mais il y a toujours des rebelles, ceux qui ne retirent pas leur chaussures car y’a que 3 mètres à faire, ils sont immédiatement rappelés à l’ordre par les usagers : « on fait COMME CA ». Une maman vient sûrement pour la première fois, elle est très très inquiète : « comment c’est les vestiaires? j’ai pas de pièce de 2 euros ni de cadenas », elle parle seule dans le vent, elle est avec 2 gosses ce qui signifie qu’elle va passer une épreuve, surveiller ses gosses, se faire juger par les connes comme moi si ses gosses courent partout et enfin faire chier tout le monde à cause de ses gosses, bien sûr autour personne ne lui répond à cause de ses gosses, il faudrait pas l’encourager à revenir, finalement tout va bien elle apprend que les vestiaires sont à code elle doit juste retenir son numéro, c’est un grand ouf de soulagement pour elle, elle peut enfin aller dans une cabine pour se changer, elle ordonne à ses enfants de faire pipi avant car « dans le bassin c’est interdit » son petit garçon ne veut pas alors elle fait ce que chaque parent fait en étant A BOUT elle le menace, d’abord elle lui dit sans reprendre sa respiration « Fais pipi. Fais pipi. Fais pipi. Fais pipi. Fais pipi. » vu que ça marche pas elle passe au stade supérieur et est en train de créer un psychopathe sans s’en rendre compte : « Si tu fais pas pipi maman elle t’aime pas. Si tu fais pas pipi maman elle t’aime pas. Si tu fais pas pipi maman elle t’aime pas. Si tu fais pas pipi maman elle t’aime pas. » à priori son gosse en a rien à foutre de l’amour de sa mère, il est déjà devenu le futur Joker et la mamounette n’est pas au bout de sa peine : elle ne comprend pas (« je ne comprends PAS » elle dit en appuyant les syllabes ) qu’on oblige son petit de 2/3 ans qui veut pas faire pipi à porter un bonnet de bain, « mais c’est un petit! » dans pas longtemps elle va demander à voir le responsable, la France une terre de bolcheviques, la piscine municipale le nouveau goulag, en attendant elle doit dépenser 5 euros (« 5 EUROS JE REVE C’EST UN BONNET DE BAIN ») pour acheter un bonnet vendu par la piscine et elle est pas contente, elle a pas besoin de le dire, elle est excessivement polie sur un ton sec « oui j’ai bien compris monsieur, mon fils a des problèmes d’hygiène alors je lui mets un bonnet c’est bien MONSIEUR vous faites votre travail, c’est bien les gens zélés comme vous » dans pas longtemps elle va le traiter de nazi mais elle sait pas que y’a un vrai groupe de facho dans la piscine. Je double tout le monde et j’arrive la première dans le bassin, à chaque fois c’est un grand privilège, les maîtres nageurs disent avec un clin d’oeil: ‘« tu peux plonger si tu veux » (ce qui est interdit), faire un plat une fois m’a suffit pour ne plus tenter l’expérience.
Chacun a une place hiérarchique à la piscine, il y a les nanas complexées, reconnaissables, direct elles se cachent dans leur serviettes et ont des maillot de bain shorty, croyant certainement que ça cache leurs rondeurs, il y a aussi ces femmes qui se maquillent pour aller nager et qui hurlent dès qu’une goutte touche leurs visages, des hommes dont l’animal totem est sûrement le lion, ils arrivent en défilant, ventre rentré, et vont directement dans la ligne la plus dure, la nage papillon, ces hommes-là éclaboussent tout le monde en nageant et à grand coup d’expiration, ils compensent, ils font une longueur et se reposent 5 minutes, mon rôle à moi c’est d’enchaîner 2000mètres et de dénoncer les gamins qui font des bombes dans l’eau. Les maitres nageurs se croient au club med, ils draguent toutes les nanas, le pire est un cliché il a des shorts très grands et ouvre les cuisses de façon à ce qu’on voit tout tout tout, il accueille toutes les femmes par « ah! voilà la plus belle/sympa/souriante! », ça marche sur les mamies, lorsque c’est lui le mercredi elles se pomponnent plus et certaines investissent dans des maillots décolletés. On sait jamais, une histoire peut débuter dans les vestiaires. Il est aussi barman le week end, il « adore faire des cocktails ça rend les gens heureux », aussi il invite toutes les meufs dans les boîtes où il bosse, un clin d’oeil et celles qui vivent là le moment le plus érotique de leur semaine sont bien contentes de prendre une douche. Parfois il me reproche de pas assez sourire, ou bien s’inquiète : « tu souris à tout le monde sauf à moi, pourquoi? », il tente régulièrement de deviner mon prénom, il m’a dit le sien :« Brandon mais c’est Baba qu’on m’appelle », alors à chaque fois il tente des prénoms? Marie? Pauline? Emilie? Magalie? Non c’est jamais ça, et quand je ne viens pas pendant 4 jours il « s’inquiète, en plus je connais pas ton prénom! ». Une femme, ici chaque matin pendant 2h, ne parle à personne, ne sourit pas, elle a ce corps sec des nanas qui passent la journée à dépenser des calories, elle a un bonnet de bain où il y a écrit RUSSIA comme si elle avait fait les JO, elle les a sûrement faits en fait, mécanique elle enchaine un entrainement digne du KGB, bien évidement il y a une jalousie de la part des autres nageurs ,elle est surnommée « la russkof » car elle n’est pas « polie » disent les mémés, elle a un regard bleu acier « comme Poutine », alors que l’homme qui a un bonnet de la Jamaïque a un capital sympathie énorme, le petit joint post crawl est quasi perceptible. Il y a aussi les copines, elles viennent à 2 tout le temps, et font leur séance en disant « on », « on fait encore 2 longueurs et on va se reposer » elles nagent cote à cote bien sûr, avec une planche et font chier tout le monde, on peut pas les doubler, elles sont là pour « papoter, la piscine est à tout le monde on a payé notre entrée nous aussi » sachez-le. Il y a un papy, il s’appelle Jean-Pierre, je le sais car il serre la main à tout le monde, « Bonjour. Jean pierre, ou JP », JP il doit avoir 70 ans, il a un slip speedo trop petit on voit ses fesses, un slip avec un cordon, un slip des années 70 il est bronzé à force d’UV et il ne va jamais dans l’eau, c’est pour ça que son slip de 40 ans est toujours d’attaque, JP il passe 1h à rester à côté des maitres nageurs, les mains sur les hanches, le regard au loin pour les « conseiller », leur apprendre leur métier, JP chaque semaine je l’entends dire que « avant les maitres nageurs avaient un sifflet et on les respectait pour ça » c’était mieux avant ma bonne dame. Les maitres nageurs préviennent que non le jacuzzi aujourd’hui n’est pas accessible, les usagers se plaignent ils ont payé un « abonnement et on n’a pas accès à tout », les usagers se plaignent aussi des vidanges, 2 fois par an c’est trop, et des gosses qui pissent PARTOUT! « Même dans les vestiaires vous savez! », JP est là pour temporiser, il pourrait être un emploi jeune en fait c’est un vieux retraité qui se fait chier et qui dit « ah les bonnes femmes ! » lorsque les mamies viennent dire « la musique elle est trop forte pour le cour d’aquagym », au bout d’1h JP part, je sais même pas s’il sait nager, il part toujours de manière précipitée : « bon faut que j’y aille moi! » peut être qu’il va dans une autre piscine.
ll y a un bassin pour les gosses, un territoire interdit pour les gens épris de liberté, seuls les parents s’y risquent, il y a les ballons, les toboggans, parfois des gosses s’échappent et courent vers le bassin sportif, ils arrivent toujours pour faire chier et tenter de sauter sur mon territoire, c’est à ce moment là que le groupe de nazis se réveille, la plus grosse solidarité existe entre les tarés de la natation, le temps s’arrête, les psychorigides de la nage sortent la tête de l’eau pour voir ces enfants, où ils vont sauter, on cherche désespérément le maitre nageur parti chercher un kawa, on se regarde entre nous, on sait tous ce qu’il va se passer, enfin les enfants sautent dans l’eau et tombent généralement sur le dos ou la tête de quelqu’un (le pire : une mamie qui captait pas ce qu’il se passait), des hurlements sont là, les gens sont excédés et le maitre nageur arrive en courant, les enfants sont immédiatement dénoncés (par moi et les autres nazis du bassin), on les montre du doigt, on les stigmatise et si les parents arrivent et ne s’excusent pas ils sont mis au pilori de la société, « everybody know the rules » dirait Manu M. tout comme ceux qui resquillent et qui tentent d’aller dans la ligne des palmes, souvent peu peuplée, les palmés ont une chose que les autres ne peuvent pas avoir, un bien en commun , des palmes et des plaquettes, dès qu’une personne rentre dans la ligne les palmés regardent ses pieds, si la personne n’a pas les fameuses palmes elle est direct rappelée à l’ordre : « c’est à coté, ici faut des palmes » on leur dit ça comme on leur dirait : « ici c’est la France Monsieur et si vous êtes pas contents on peut aller voir la direction », et si la personne ne se tire pas elle recevra des coups de palmes, la ligne des palmés, aux palmés.
La session de natation se termine, on se retrouve tous dans les vestiaires, la tronche décalquée, le cheveux mouillé, le reste de maquillage de la veille qui coule, l’odeur du chlore malgré la douche, quelqu’un se plaint toujours du débit réduit des douches, 10 ans que j’y viens 10 ans que ça arrive à chaque fois. Et les sèches cheveux n’en parlons pas « vous pouvez pas investir? ». Plus personne ne se connait, on se reverra demain ou dans 2 jours et on se fera un signe de tête mais après la douche, non. Il y a ce père de famille, un nouveau, comment a t il trouvé le temps de venir ici? Il a le physique des gens très occupés, il est venu avec sa gamine de 15/16 ans, il la coach « la discipline sportive c’est important », elle doit s’appeler Sixtine ou Mahaut, et c’est une future dirigeante de la start up nation, il pose son portable sur le banc le temps de lacer ses basket, il s’adresse à Siri, très fort bien sûr : « Appeler Christophe Castaner, haut parleur », fier de son petit effet il regarde autour de lui pour voir si la plèbe, ceux qui ont des maillots de marque « tissaia » s’émerveillent (« comment? Cet homme connaît le ministre de l’intérieur? et il se permet de l’appeler dans les vestiaires de la pistoche? ») rien de ça, les gens ont de l’eau dans les oreilles et les chaussettes rentrent mal avec les pieds mouillés et y’a Titouan qui a encore perdu son bonnet et sa mère ne comprend PAS comment car y’a 3 minutes « tu l’avais encoreuuh alors il est OU?? ». (12/02/20)
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