La carafe de whisky

La carafe de whisky

« Pourquoi tu vas pas faire une pichnette avec le maire ? » C’est Régis qui me dit ça. « Hein? Tu veux dire que j’aille le niquer ? » « oui voilà bon le niquer comme tu dis vas y, demain je suis là encore tu prends 3 h et va le voir ça te fera du bien, tu sais c’est un branleur comme moi on se reconnaît » et Régis me raconte un peu sa vie, il a été avec 6 nanas à un moment donné « oui mais tu les baisais pas seulement, tu sortais avec elles? » oui effectivement « j’avais des week end chargés »
A Régis je dis sans filtre « ben moi je baise plein de mecs » il « avait cru comprendre t’es bien la fille de ta mère » je lui explique mon problème entre l’envie et le désir, « c’est ça qui était bien avec ta mère c’est que yavait l’envie et le désir » il me dit qu’il est sensible à la voix, maman il l’a enregistrée sur des centaines de cassette et elle aussi ils se passaient des messages comme ça. Maman m’a dit qu’ils s’étaient rencontrés à l’hôpital, lui dit « pas du tout. Au bistrot je l’ai remarqué j’ai tenté un truc et elle m’a pas regardé » puis « quelques mois après je vois qu’elle est enceinte dans la rue mais elle a l’air seule je me suis dit bon … » et enfin « 5 ans après elle frappe à ma porte car son kiné était malade, là BANG BANG je prends deux coups dans la tronche je fais semblant de rien du tout car c’est une patiente mais je me suis dit c’est un signe j’avais raison, alléluia! »

Après il me raconte leur vie « rends toi compte j’allais chez le même cordonnier que ton père, ton père on avait un pote en commun le maire de Pouilly il arrêtait pas de me dire on se fait un week end moi je sautais sa nana et lui il me disait ça j’étais UN PEU mal à l’aise Manue» je me marre je m’en fiche totalement je trouve ça HYPER COOL, et on a passé la soirée à boire du vin blanc sur la terrasse, moi je lui ai raconté mes plans, à ce mec là de 75 ans qui me dit « les mecs sont tellement des cons et des lâches moi même j’ai été lâche, avec mes 2/3 copains du bistro on a tous été des merdes » pendant qu’elle dort profondément je lui montre à lui tinder, « j’aurais fait des ravages si yavait eu ça a l’époque mais ta mère aussi ! » Régis parle d’amour maman parle de mort.

« Faut pas que ça rate, tu crois que ça peut rater ? » Son suicide? Non maman ça peut pas rater car toutes tes maladies sont des accélérateurs, tu as les anévrismes, le coeur, les AVC et enfin le cancer généralisé, ton corps ne pourra pas lutter, je lui explique qu’au début des pompes à morphine on pourra continuer à communiquer, ne t’inquiète pas, je lui mens, très vite elle sera inconsciente, mais je peux pas lui dire ça. Hier elle était dans le lit Régis lui tenait la main gauche celle qui bouge je lui tenais la main droite celle qui bouge pas, « C’était un moment de bonheur et apaisant » a dit Régis , pour moi c’était un moment de tristesse.

Elle a refusé la perfusion d’hydratation pour que ça aille plus vite, mon médecin parisien m’avait dit que la perfusion d’hydratation empêchait une mort « horrible » alors je ne sais pas quoi penser, je me raccroche au coeur, au cerveau qui j’espère lâchera avant la déshydratation.

Chaque matin c’est de plus en plus compliqué, j’ai augmenté la dose de cortisone pour avoir moins de dégradation mais je pense que la dose n’est plus assez forte. Le matin quand je la réveille à 6:30 elle me dit « faut que je me lève et que j’aille faire des courses » après ça va un peu mieux mais l’état de souffrance est insupportable à voir, je suis obligée de sortir, j’imprime des expressions d’elle pas belles pour ne pas culpabiliser après, y repenser, hier soir j’ai cru qu’elle allait partir naturellement en s’endormant, elle respirait à peine, n’arrivait plus à ouvrir les yeux, elle ne supporte plus la lumière, on était tous les 3. On a encore tous cet espoir celui de ne pas arriver à lundi 12 au matin, quand j’ouvrirai le grand portail pour les accueillir ceux qui vont installer les pompes à morphine. Régis a une seule peur, que ça prenne du temps, la femme d’un de ses amis est morte de ce que maman a et il m’a pas menti « c’est pas beau si ça prend du temps » état semi conscient, baver, les yeux qui sortent, les gestes désordonnés, moi je n’arriverai pas à voir ça j’irai me planquer chez Mumu la voisine, je n’arrive déjà pas à voir son visage se crisper de douleur.

Régis Jeanine et Mumu ne connaissent pas la date du 12 je suis restée vague « la semaine prochaine » je n’arrive pas à leur dire que dimanche ça sera la dernière fois qu’ils la verront, que Jeanine viendra rire et raconter des conneries, que Mumu viendra fumer des clopes et gueuler sur la terre entière , que Régis l’embrassera, je n’ai pas envie de voir leurs larmes à ce moment là, lorsque son amie de Paris est venue l’autre jour toutes les 3 on savait que c’était la dernière fois qu’elles se voyaient alors qu’elles se connaissent depuis 50 ans, l’amie a dit « à un de ces 4 ma pote» en s’étouffant de larmes alors pour l’instant je ne dis pas « ce sera lundi 12 » c’est surréaliste et dingue je sais que c’est fini que dans 1 semaine dix jours je vais aller aux pompes funèbres je vais rencontrer un curé de merde je vais prendre en main les choses je le sais mais ça me semble dingue incroyable, ce matin je lui ai dit merci pour la confiance que j’avais, qu’à force de me répéter que j’étais la plus canon, la plus intelligente même quand j’étais un cageot à 15 ans bah j’ai fini par le croire et grâce un peu à elle j’ai cette confiance en moi, au taff, mes amis tous le disent « j’ai la confiance » de ouf, merci maman.

Elle me dit que son seul regret c’est sa voix, elle ne l’aime pas, je lui raconte les enregistrements avec Régis elle me dit « ah oui il se souvient de ça! » elle aussi.

J’ai dit à Régis qu’il pouvait prendre des objets de maman, et que ça serait bien qu’il prenne la carafe de whisky. Elle appartenait à la grand mère de maman, Andréa. L’autre jour j’ai filmé maman, je l’ai filmé pour qu’elle me raconte son histoire avec Régis , je l’ai filmé en lui lisant le discours que j’allais faire à l’enterrement, je l’ai filmé sur les trucs mystiques, elle a toujours « vu » des morts d’après elle, sa grand mère Andréa qui d’après elle nous a protégées d’un accident de voiture le 27 février 1994, ce jour là on venait voir mes grands-parents, dans la maison où elle est maintenant. Maman avait une super 5, mon père une énorme voiture de fonction alfa Roméo, mon père a insisté pour que ma mère la prenne même si elle n’avait pas le droit, il voulait « pousser » la super 5, alors on a pris l’alfa de mon père. Arrivées au carrefour de Rouillac, moi j’étais assise sur l’accoudoir du milieu, maman s’est tournée vers moi et m’a dit « on va avoir un accident » on a eu un accident, une camionnette nous est foncée dessus, l’alfa Roméo complètement détruite, avec la super 5 on serait mortes. On a toujours parlé de cet accident et il y a quelques jours Jeanine l’amie m’a dit « ta mère a vu sa grand mère à ce moment là, elle est persuadée qu’elle vous a protégées » je savais pas, je suis très cartésienne, ma mère très mystique elle croit aux forces de l’esprit, alors je lui ai dit « raconte moi Andréa qui nous sauve la vie » et elle m’a raconté, j’ai filmé j’ai rigolé « tu rigoles emmanuelle mais c’est vrai! Je ne l’ai plus jamais vue après ça c’est elle qui nous a sauvé elle qui a fait que j’ai pris l’alfa ce jour là et au moment de l’accident j’ai vu Andréa devant la bagnole » maman adorait sa grand mère, elle lui a fait sa toilette mortuaire, aussi j’ai dit à Régis « tu devrais prendre la carafe de whisky c’est tellement associé à toi lorsque tu venais chez nous. Je te la donne » il a dit « en plus c’est celle d’Andréa qui vous a sauvé non? » j’ai ri. Et je lui ai dit qu’il pouvait prendre d’autres trucs, il a pris une robe et « le livre de Rembrandt » ils avaient vu une expo sur lui ensemble. Jeanine a pris une rose des sables offerte par un amant, Mumu n’a pas encore choisi 

M Écrit par :

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