Jeudi 10 décembre 2020. 38ème audience.
Ce matin est consacré à Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez, le tandem des Ardennes. Abbad est déjà condamné dans une autre affaire pour meurtre à vingt-cinq ans de prison j’étais sûre qu’il allait avoir l’une des trois plus grosses peines alors qu’elle est injustifiée. Comme celle demandée pour Miguel Martinez accusé d’avoir transporté le sac d’armes qui n’a pas servi aux attentats, et d’avoir regardé des vidéos de décapitation mais en fait c’était le film « Bernie » d’Albert Dupontel, comme cela a été démontré par son avocate, quinze ans pour ça. Dans la file d’attente un officier de sécurité me dit que le seul remède contre le corona est le piment, il a eu le covid et s’est guéri en ne mangeant que ça et « en invoquant le dieu pour chasser le Malin vous voyez le Mal Hein et le sourire le meilleure remède » il m’exhorte à aller chercher du piment en sortant de l’audience aujourd’hui je lui dis ok je vais y aller en plus je dois acheter des éponges, il termine : « Piment et sourire c’est la potion d’Astérix! » Derrière moi un homme arrive il est déjà venu écouter les audiences, outré que je défende les accusés il m’avait demandé mon nom pour se renseigner sur moi, pour lui les avocats défense sont des « pourritures ». Abdelaziz Abbad a deux très bons avocats, lui c’est David Apelbaum qui faisait des mini résumés lors des audiences ce qui m’aidait beaucoup, elle c’est Margaux Durand-Poincloux qui démontrait régulièrement de manière très pertinente que l’accusation ne tenait pas. J’espère qu’un des deux va dire que la peine de dix-huit ans est là uniquement car Abbad a déjà été condamné à vingt-cinq ans. Abbad est un délinquant, un trafiquant de drogue. Un homme animé par une idéologie djihadiste ? Non. Me Durand-Pointcloux commence :
« Aujourd’hui je suis troublée et en colère. Pendant plusieurs jours j’ai cru être en colère pour quelque chose de futile Les parties civiles ont souvent qualifié les accusés d’incultes j’avais honte puis le réquisitoire est arrivé j’ai eu encore plus honte. Une colère profonde, les avocats généraux ont d’abord raconté une autre histoire livrée après clôture des débats c’est comme lâcher une bombe atomique le jour de l’armistice. Alors ce mois de suspension il aura servi, d’abord à Ali Polat guéri du covid puis aux avocats généraux qui ont trouvé de nouvelles accusations. Saïd Kouachi quasiment aveugle, un suiveur de son frère Chérif et là on nous dit dans le réquisitoire qu’il aurait cherché de lui-même des armes, on fait d’une rencontre fortuite, sans aucun échange, dans un lieu public avec des tiers, la rencontre pendant laquelle Saïd Kouachi aurait demandé des armes à Abdelaziz Abbad, il y a un problème les faits sont matériellement impossibles faits pour lesquels Abbad est renvoyé ici, on en est là. On nous dit que y’a pas besoin de preuve on nous dit que l’abscence d’impossibilité doit conduire à dix-huit ans de réclusions criminelle …y’a pas que moi qui devrais avoir honte. Alors oui c’est pas évident de comparer Abbad a un agneau tout le monde en convient mais les premiers mots qui me sont venus c’est : si ce n’est toi, c’est donc ton frère. Je n’en ai point, c’est donc l’un des tiens. C’est honteux et truffés de mensonges. Même l’enquêteur de la SDAT dit que Abbad n’a jamais reconnu Saïd Kouachi. Karasular et Catino recherchent des armes pour Abbad ? NON. On nous dit qu’est prouvée la recherche d’armes pour Saïd Kouachi ? Merci de nous prévenir. Que la ligne d’Abbad stop le 7 janvier c’est faux. Que le trajet Bastille Charleroi se fait en 2h12 . Et que Abbad a fourni des armes bon alors là je parle même pas de vérité il n’est même pas renvoyé pour ça, tout est faux et donc j’ai honte
J’ai mis un peu de temps à m’en remettre. Et j’ai honte. Et j’ai repensé à cette phrase : Que considères-tu comme ce qu’il y a de plus humain ? Epargner la honte à quelqu’un.
Et elle reprend l’histoire d’Abbad. Il a connu Karasular pour de la drogue. Il envoie Abbad chez Polat le 25 novembre mais ce sont des armes pourries Abbad n’en veut pas, Catino remonte le sac le 30 novembre. Le sac d’armes est stocké à Revin chez une nourrice qui en vend pour s’acheter de la drogue et en balance dans La Meuse. Abbad a rencontré quelqu’un qui cherchait des armes, un homme à lunette, moustache, béret une ressemblance avec Saïd Kouachi mais ça n’est pas lui. « Cette simple ressemblance sert à construire toute l’accusation contre Abbad » elle cite trois déclarations de la SDAT qui vont dans ce sens : « C’est rare pour moi de plaider en défense en citant la SDAT » elle poursuit : « Le parquet a dit que tous les témoins avaient changé leur dépositions pourtant un des témoins d’ Abbad a dit en garde à vue et ici que c’est Omar l’homme qui ressemble à Saïd Kouachi alors on comprend hein le dossier il est vide sur les Kouachi fallait bien que Abbad rencontre Saïd Kouachi. On nous a dit de privilégier la logique sur les preuves alors parlons logique Abbad parle d’un homme à moustache en novembre décembre. Saïd Kouachi quand il meurt un mois après il a une grosse barbe. Ensuite le circuit des armes, donc Saïd Kouachi va voir un homme qu’il ne connaît pas, Abbad, et lui prend les armes pourries dont Coulibaly n’a pas voulu mais lui il les prend ! Un sacré hasard ! En fait je trouve ça triste. Je vois pas comment on peut y croire. Le transport d’armes est la seule chose qui sort de ce dossier » elle parle un peu téléphonie. Puis « Je vais même pas plaider l’absence d’adhésion idéologique pour Abbad ça n’est même pas envisagé on va éviter du temps en trop, c’est honteux. Abbad n’est coupable que d’avoir détenu, transporté des armes. D’en avoir revendu deux avant de se faire voler le reste. Il acquiert des armes pour lui, le débat n’est pas le caractère terroriste, c’est l’existence d’infraction. Pendant les débats les parties civiles nous ont dit qu’elles attendaient du procès de mieux comprendre les tenants et les aboutissants, qui a fait quoi. Chez l’accusation, on préfère vous soutenir le tout coûte que coûte.
Monsieur le Président, mesdames messieurs, qui y a-t-il de plus humain? Épargner la honte à quelqu’un. »
Une heure de plaidoirie.
C’est au tour de Me Apelbaum de prendre la parole :
« J’ai entendu Me Durand-Pointcloux parler de honte de colère de trouble, moi je suis fatigué de cette suspension qui a donné lieu au parquet de changer les vérités, au gouvernement de procéder à une ordonnance infâme. C’est au bout de sept semaines qu’ Abbad a parlé… dans quel état arrivons nous ici ? Je suis fatigué aussi du réquisitoire surréaliste quasi mystique. Bas de gamme quand on dit des phrases comme « il n’y a pas de hasard » on est au café du commerce, un réquisitoire effrayant qui considère que sept ans de prison est une peine légère. Le parquet devrait se rappeler que sur terre il y a des êtres humains dont la place n’est pas en prison. Dans ce genre de procès il faut tenir, chacun a sa technique le moment de lumière pour moi ça a été les dessins de François Boucq de Charlie Hebdo et les articles [de Yannick Haenel] transformer l’horreur en œuvre d’art…Vous n’êtes pas des artistes, vous jugez des faits, une réalité une matérialité » et il revient aussi sur la chronologie, brode sur Charleville-Mézières une ville « où tout le monde se connait mais non en fait » il explique que Saïd Kouachi n’a pas pu demander des armes à Abbad car Saïd Kouachi vivait dans un cloisonnement tel que même les services de renseignements n’ont pas pu placer un individu pour infiltrer son groupe, il dit : « Je ne veux pas dire les vrais mots que je pense…ça dépasserait le cadre acceptable d’une plaidoirie », il rappelle que des témoins pas amis d’Abbad et même un policier ont dit que celui-ci n’était qu’un trafiquant de drogue et sa plaidoirie devient quasiment inaudible Me Apelbaum oublie de parler dans le micro, on entend juste Ali Polat s’énerver, le Président le rappelle à l’ordre et Me Coutant-Peyre le sermonne, Ali Polat fait le signe « zinzin » en tournant son doigt sur sa tête. Me Apelbaum évoque « la parole » celle que ne donne pas Peter Cherif quand il apparaît pour témoigner mais Abbad il parle, il termine : « Je vais finir en reprenant les mots d’une partie civile, Sigolène Vinson qui a dit ici Il faut condamner les coupables s’il y en a. Devant vous aujourd’hui il n’y en a pas, il faut donner à chacun la peine qu’il mérite. Charlie Hebdo notre peine à nous. Ni plus ni moins la justice pour Abdelaziz Abbad, la justice pour tous. »
Fin de la plaidoirie de plus d’une heure.
Et il y a une suspension de vingt minutes, pendant ce temps Me Margot Pugliese se prépare, elle est la prochaine à passer, elle se concentre, fait quelques pas, petite bouteille d’eau à la main. Elle est discrète mais chaque intervention fait mouche, elle plaide pour Miguel Martinez, elle commence :
« A la fin de ce procès et pendant toute la procédure je me suis posée la même question est ce qu’on peut encore y croire à la justice anti-terroriste ? Est-ce que vous serez assez libres pour ne pas suivre la thèse construite pendant des années ? Assez courageux pour rendre la justice et acquitter Miguel Martinez de l’infraction d’association de malfaiteurs terroristes ? Miguel Martinez il me dit qu’il a peur que vous soyez injustes et moi je peux pas le rassurer, j’ai vu construire ce système et seul votre délibéré pourra me rassurer, vous êtes cinq à le juger. Et puis le parquet si puissant, comment remettre ça en doute, ils ont un pouvoir exceptionnel, mais jamais ils n’ont posé une seule question à Miguel Martinez sur son islam alors face à tout ça Miguel Martinez il a peur. Je n’ai rien oublié de l’horreur, du contexte, nous défendons avec tous ces chagrins et d’autres attentats pendant ce procès et on en peut plus des islamistes, on en peut plus des barbus ! Miguel Martinez avec sa barbe il est condamné d’avance ? J’ai une certitude c’est qu’on a pas gardé la tête froide je me souviens chez la juge d’instruction elle lui dit Ah ! Je n’avais pas encore de barbu ! Alors on a ri avec Miguel Martinez mais après on s’est rendu compte que ce n’était pas un trait d’esprit Miguel Martinez il est vu comme un fou de dieu. Sans le radicalisme de Miguel Martinez il reste Abdelaziz Abbad et son trafic de stupéfiant pour le rattacher à une radicalisation c’était compliqué alors on trouve Miguel Martinez et on mélange les deux alors on enquête et c’est pas simple hein de trouver la radicalisation de Miguel Martinez, y’a une photo de lui barbu à la Mecque, même l’enquêtrice de la SDAT dit qu’elle ne ressent pas être en face d’un islamiste. Sa femme, sa belle-mère ça colle pas alors on cherche d’autres témoins et on trouve… Patrick ! Le père de sa femme ! Le graal. Là c’était merveilleux… Miguel Martinez regarde des vidéos de décapitation Patrick a dit et à chaque demande de remise en liberté on nous dit non Miguel Martinez regarde des vidéos de décapitations ! Miguel Martinez porte sur les épaules le poids immonde du témoignage de son beau-père »
Ensuite elle explique quelque chose, elle a demandé à avoir accès à certaines fadettes de téléphonie on lui a dit qu’elle n’avait pas le même logiciel que le parquet donc c’était compliqué, elle explique qu’elle a fait confiance, en plus ces fadettes étaient sous scellés et c’est ici au procès qu’elle apprend quelque chose : la ligne téléphonique reprochée à Miguel Martinez et qui est coupée le 25 novembre 2014 date à laquelle Abbad va chercher le sac d’armes, cette ligne en fait appartient à Metin Karasular, Miguel Martinez lui le 25 novembre2014 a eu 147 contacts (sms, appels) elle dit « voilà ce dossier, je m’en veux de ne pas avoir demandé les fadettes mais c’est que moi j’y ai cru à ce système ! » Elle explique donc que Patrick (« qui plaçait des têtes de porc dans le frigo de Miguel Martinez ») a en fait menti, Miguel Martinez a vu un film de Dupontel « Bernie », « Ca a été un bel effet d’audience…mais c’est triste à en pleurer pour le parquet national anti-terroriste » elle explique ensuite pourquoi Miguel Martinez s’est converti à l’islam, son père s’est suicidé à 9 ans, sa mère est morte quand il avait une vingtaine d’années. « Vous voyez Miguel Martinez depuis plus de trois mois, vous l’avez vu regarder la salle toujours pour savoir qui est qui, pour connaître les histoires de chacun, vous l’avez vu lire Charlie hebdo dans le box et rire et je voudrais parler d’une chose. Vous avez parlé d’un incident avec des femmes pendant l’audience Monsieur le Président mais vous n’écrivez pas la nature de cet incident dans votre rapport. Ce qu’il s’est passé c’est qu’un jour ici Miguel Martinez il en a eu marre. Car les accusés ici ils se font palper les parties tout le temps. Ils pissent devant tout le monde la porte ouverte. On vous en a parlé, on vous a dit il y a des problèmes, ça se passe mal et un jour Miguel Martinez il a craqué alors stop. Là ça devient important…Si y’a pas de radicalisation de Miguel Martinez on a quoi, ? Qu’est ce qu’il y a ? Il y a le beau frère de Saïd Kouachi et Saïd Kouachi qui vont au garage de Miguel Martinez une fois pour des pneus et c’est Miguel Martinez qui en parle spontanément. Miguel Martinez va chez Metin karasular pour de la drogue c’est reconnu et il a des contacts téléphonique pendant 2 semaines avec Karasular, une fois avec Michel Catino et Ali Polat. Et il y a le sac d’armes stockés chez une nourrice. Et ça c’est quinze ans fin de l’histoire mais dans le réquisitoire on parle pas du sac d’armes car le parquet SAIT que les armes c’est une histoire parallèle c’est pas les attentats »
Elle se tourne vers Miguel Martinez : « Vous avez une sale gueule Monsieur Martinez ! »
Elle s’adresse à la cour : « La radicalisation elle est pas là ! Alors il va falloir baisser. Beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup quinze ans. Ayez du courage vraiment. Pourquoi vous êtes devenus juges ? Pourquoi vous avez prêté serment ? Vous vous êtes dit que vous serez libres, indépendants, sans pression même si le monde vous regarde » elle se retourne vers son client : « Voilà c’est fini Monsieur Martinez » puis au Président : « Monsieur le Président c’est vous qui allez le juger, je vous le confie »
Fin de la plaidoirie (un peu maternelle) une heure quinze et nous allons en pause.
Au retour le Président lit des conclusions et c’est un énorme clash. Les parties civiles ont demandé à ce que la prise d’otage de l’Hypercacher soit qualifiée d’antisémite ce n’est pas « juridiquement » possible, par contre Coulibaly a tenté d’assassiner une petite caissière de l’Hypercacher et donc la notion « antisémite » est retenue ça avait déjà été débattu et là ils recommencent, les avocats parties civiles disent quand même quelque chose d’honteux « Si vous ne retenez pas [la question de la circonstance aggravante de l’antisémitisme] ne vous inquiétez pas ça ne fera pas de vous un antisémite » l’avocat général se lève outré il ne supporte pas (à juste titre) ce que vient de dire la partie civile il explique que cette question a déjà été débattue, que tout simplement ce n’est pas possible « JURIDIQUEMENT » et c’est une de mes deux stars de la défense Me Safya Akorri qui parle au nom de ses confrères elle est scandalisée : « On a un gros problème de forme, on reprend les plaidoiries partie civiles en milieu de plaidoiries défense et on essaie de nous dire que y’a pas eu quatre ans d’instruction et un problème de fond : on tente de nous dire que toute séquestration, toute prise d’otage est une tentative d’assassinat » Me Coutant-Peyre se lève : « Bon euh être qualifié d’antisémite ça c’est le truc qui tue » tout le monde crie on convoque Aragon, Léon Blum, le code pénal, la convention des droits de l’homme, le show, le spectacle, certains baissent le pouce comme dans une arène et Me Coutant-Peyre crie : « MON CLIENT IL EST EN TAULE « je ris mais en vrai il est temps que ça se termine. Ces hurlements contrastent fortement avec Me Hugo Lévy avocat de Willy Prévost, il parlait beaucoup au début, beaucoup moins par la suite, là il fait une plaidoirie assez littéraire au début, un peu comme s’il passait un oral pour hypokhâgne et c’est assez monotone et le problème c’est qu’il a l’air très très triste.
Il parle de Thomas Hobbes (« un homme du XVIIème il a connu le mauvais temps ») Alain Badiou, Gilles Kepel, Hugo Micheron, Nietzsche bon je m’endors, de Willy Prévost son client il dit qu’il est « un frère humain et le box en est rempli » il parle de différents évènements de fanatisme catholique, il révèle que Willy Prévost a accepté le dessin offert par l’avocat de la famille d’Honoré. Il dit des phrases comme : « Je suis en colère quand j’entends qu’il risque dix-huit ans, cet homme n’est pas colère il est tristesse, oui il a versé des larmes en garde à vue, oui il a versé des larmes après le réquisitoire » il lit le rapport QER qui dit que Willy Prévost avait une grande empathie pour les victimes et de l’animosité pour Coulibaly, il dit « Grigny ça veut dire grincer des dents » des phrases comme ça. Il évoque la pauvreté sociale du département, la famille de son client, le père alcoolique, la mère avec 13 000 euros de dette, le frère qu’il faut nourrir » c’est Victor Hugo Lévy on dirait Les misérables, il parle du tract palestinien retrouvé chez son client « La palestine je m’en tape » dit Willy Prévost chez la juge d’instruction. Il rappelle que son client n’a commis aucun crime ni délit, pas de vol, pas d’escroquerie, pas de transport d’armes. Au bout d’une heure trente il parle de « Segmentation abstraite du réel » je m’endors. Il dit «Mon frère humain Prévost », au bout de deux heures : « Il faut qu’il puisse admettre et comprendre la peine, donnez-lui l’espoir d’une véritable reconstruction » et à moi l’espoir de rentrer vite chez moi.
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