Vendredi 16 octobre 2020. 25ème audience.
L’audience d’hier était particulièrement ennuyeuse, et compliquée à comprendre, retranscrire et relire, ça a été la pire jusque-là. Des témoins qui ne parlent pas, qui répondent à côté, ça fait cinq lignes ici mais au tribunal ça dure deux heures et les esprits s’échauffent. La famille de Farès n’a pas été d’une grande aide pour lui, les silences complices, ce que l’on tait par peur ou pas. Tellement en contraste avec la famille de Pastor-Alwatik qui raconte tout, et surtout l’amour. Dans les deux cas, l’accusé est dans le box, qu’il ait grandi entouré d’amour et de bienveillance ou qu’il vive dans la vengeance familiale et la violence, les deux sont là et risquent vingt ans de leur vie. La famille de Pastor-Alwatik lui rendra visite, sa mère, sa sœur, sa nièce, des femmes uniquement qui se pressent au parloir. Du côté de Farès c’est différent. Il a une douzaine de frères et sœurs mais a des contacts avec très peu d’entre eux, parfois ils ne vont pas au parloir car c’est trop compliqué. Entendre chaque jour des accusés raconter leur vie, voir des proches raconter l’intimité, le quotidien parfois banal d’un accusé dans une affaire extraordinaire relève parfois du voyeurisme. C’est le même voyeurisme qui fait taire les images des cadavres à Charlie Hebdo. Il y en a trop, trop de vérité, trop d’intimité. Comment raconter ça sans tomber dans le pathos ou le morbide ? En vérité c’est très compliqué et la fatigue n’aide pas à discerner ce qui est racontable ou pas. Des violences conjugales, une sexualité normative ou un cadavre criblé de balles qui dessinait quinze minutes avant et qui est décrit totalement de manière chirurgicale.
Aujourd’hui nous allons entendre des enquêteurs, un peu de répit dans les témoignages qui reprendront lundi. Dans la salle, Yannick Haenel est là, je le vois chaque jour de dos écrire dans la salle d’audience. Aujourd’hui il est venu dans ma salle à côté de ma rangée. Une enquêtrice de la SDAT arrive. C’est le retour des personnes sans nom, juste un matricule. Elle va nous parler des gardes à vue d’Ali Polat, d’Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez, aussi de Metin Karasular et Michel Catino, et la téléphonie. Ali Polat a été placé en garde à vue le 24 mars 2015. En garde à vue Willy Prévost a dit que Coulibaly avait un pote de forte corpulence, turco-kurde. Les policiers se sont mis sur la piste d’Ali Polat. L’enquêtrice explique que certains des accusés sont connus très défavorablement des services de police. Les gardes à vue d’Ali Polat et Abdelaziz Abbad ont été très difficiles car ils sont rodés à l’exercice. Ali Polat crie dans son box il va faire ça tout au long de l’audition de l’enquêtrice. Le Président lui crie : « S’il vous plaît commencez pas !! » Du coup c’est l’enquêtrice qui commence :
Ali Polat a au moins six lignes de téléphone. La première ligne il l’utilise et contacte Coulibaly 475 fois. Une deuxième ligne du 18 septembre 2014 au 6 janvier 2015, il aura 200 contacts avec Metin Karasular et le 25 novembre 2014 il a un contact avec Abdelaziz Abbad : « Le 25 novembre 2014 est une date importante pour nous car c’est le jour où Abdelaziz Abbad va chez Ali Polat et qu’il voit un sac d’armes. Le 30 novembre 2014 il y a un appel avec Michel Catino, date aussi importante car le sac d’armes en question aurait été récupéré par Michel Catino. Le 3 janvier 2015 Ali Polat est en Belgique avec Coulibaly on y reviendra, la date est importante. La troisième ligne, utilisée par Ali Polat du 2 novembre 2014 au 6 décembre 2014, il y aura en quatre jours 202 contacts avec Coulibaly, et 29 contacts en deux jours avec Willy Prévost. La quatrième ligne, utilisée du 8 décembre 2014 au 29 décembre 2014, il y a 196 contacts avec Coulibaly et 14 avec Willy Prévost. La cinquième ligne est utilisée du 29 décembre 2014 au 5 janvier 2015, il y a 50 contacts avec Coulibaly, 7 avec Willy Prévost et 1 avec Christophe Raumel mais c’est Willy Prévost qui utilise alors le téléphone à ce moment-là. Enfin la sixième ligne : dans la nuit du 5 janvier 2015 à 23h55 Coulibaly donne une puce à Ali Polat pour un seul jour donc, ils échangeront 30 SMS. On sait que ce même jour, Coulibaly a aussi donné une puce à Chérif Kouachi. En GAV Ali Polat nous explique que ça se passe toujours comme ça, Coulibaly donne des puces et reprend les anciennes. On fait une perquisition chez Ali Polat et chez sa maman car il vit beaucoup chez elle, on récupère du matériel informatique, un iPad et un passeport dissimulé sous la table avec du scotch, j’y reviendrai. Lors d’une audition, Ali Polat reconnaît être au service de Coulibaly qu’il connaît depuis 2007. Ils sont très proches et liés aussi par des actes de délinquance. Il évoque une dette de 15 000 euros qu’il doit à Coulibaly pour une histoire de stup en 2009. De 2010 à 2014, Coulibaly est en prison et quand il sort il réclame l’argent à Ali Polat qui donc rend service à Coulibaly pour racheter la dette. C’est Ali Polat qui sert d’intermédiaire pour la vente de la Mini en Belgique, il se sent redevable. On suit Ali Polat et le 28 janvier 2015, trois semaines après l’Hypercacher, il va s’y rendre, il regarde, il observe et il rentre. Le 29 janvier, le lendemain, il va jusqu’à Bastille acheter une pomme d’amour alors ça paraît anodin mais Coulibaly aimait les pommes d’amour et en GAV Ali Polat nous dit qu’il rend service à Coulibaly et ça peut aller, selon ses dires, jusqu’à l’accompagner acheter une pomme d’amour à Bastille et là Ali Polat fait ça, seul. En GAV Ali Polat nous dit d’emblée que Willy Prévost était le bouc émissaire de Coulibaly. En septembre 2014, Coulibaly achète une Mini à crédit, 27 000 euros.trois mois après il la revend à Metin Karasular, 12 000 euros. C’est Ali Polat qui rencontre Karasular qui est aussi turco-kurde. Il nous dit qu’un jour il rentre par hasard dans le garage de Metin Karasular. Il évoque aussi une caisse de dattes offerte pour le ramadan. Karasular donne 3500 euros pour la Mini le 3 janvier 2015 à Ali Polat et Coulibaly qui sont montés en Belgique pour ça. Le 9 janvier 2015, jour de l’Hypercacher, Ali Polat retourne en Belgique et obtient 2400 euros de Karasular. On considère qu’il y a un montage suspect pour la Mini. De plus, Ali Polat ne veut pas parler de ses déplacements à l’étranger, il invoque son droit au silence. C’est uniquement lorsqu’on lui dit que Metin Karasular s’est rendu spontanément à la police qu’il en parle. Metin Karasular, connu des services de police pour ses trafics de stupéfiants et d’armes, il a un garage, enfin qui est plus une casse, une déchèterie. L’enquête démontre que le 10 juillet 2014 Ali Polat envoie 1434 euros en Wester Union à Metin Karasular via un cousin qui sert de prête-nom, les 34 euros étant la transaction. Ce qui est étonnant c’est que nous sommes en juillet 2014 et qu’à ce moment-là Ali Polat n’est pas censé connaître Metin Karasular, ou depuis quelques semaines seulement. En GAV, Ali Polat nous explique que ces 1400 euros sont un pur geste de bonté, ce qui est assez curieux vu qu’Ali Polat a des dettes à régler et aucun argent. Ce versement nous interroge car ça se passe en juillet et en GAV Willy Prévost nous raconte que vers le 7 août 2014 Ali Polat s’était rendu là-haut pour récupérer des armes. Willy Prévost nous dit que Coulibaly lui demande d’aller chercher des armes, sauf que Willy Prévost a un bracelet électronique et il refuse. Du coup c’est Ali Polat qui est chargé de récupérer les armes avec une voiture ouvreuse et une voiture suiveuse, un go-fast. Ali Polat dans la première voiture a eu un problème au péage. Coulibaly n’est pas content des armes, des armes de merde il dit à Willy Prévost. Ali Polat réfute tout ça, il dit qu’il était à Londres chez sa sœur à ce moment-là. Il ment. On a fait les vérifications, il était à Londres dix jours plus tard. Des armes de merde, ça fait référence à ce que nous dit Abdelaziz Abbad quand il a vu des armes pourries, rouillées . Ce sac d’armes, il faut le remonter en Belgique. Abdelaziz Abbad refuse le 25 novembre 2014, du coup c’est Michel Catino, bras droit de Metin Karasular, qui s’en charge le 30 novembre 2014. Chez Metin Karasular on retrouve des listes d’armes et de prix, une liste est écrite par Ali Polat. On retrouve notamment le prix de 1400 euros pour un tokarev, ça peut faire référence au 1434 euros envoyés par Ali Polat à Metin Karasular. Dans la liste on trouve aussi un lance-roquette : on a retrouvé un lance-roquette avec les Kouachi. Un proche d’Ali Polat, Madi N., nous a déclaré qu’Ali Polat était à la recherche d’armes vers septembre 2014, officiellement pour un braquage, c’est difficile d’imaginer qu’Ali Polat n’était pas au courant. »
Dans son box Ali Polat hurle, le Président aussi : « STOP ARRETEZ ! » L’enquêtrice poursuit : « Le 3 janvier 2015, au retour de Belgique, Coulibaly et Ali Polat passent chez Pastor-Alwatik. Ali Polat déclare qu’il reste dans la voiture et mange des Curly. Du 6 au 7 janvier 2015 Ali Polat reconnaît qu’il devait voir Coulibaly pour lui remettre les 3500 euros… » Le Président crie encore à Ali Polat : « Ça suffit ! Ça va se terminer par une expulsion ! Vous voulez la parole, alors tenez-vous tranquille ! » L’enquêtrice : « Ce n’est pas tout. Le 7 janvier 2015, Ali Polat récupère le téléphone de Willy Prévost et la carte grise de la moto qui sert à aller à Montrouge le 8 janvier, il est 11h/11h30, l’heure où les Kouachi arrivent à Charlie Hebdo. Notre chronologie nous fait dire qu’Ali Polat devait récupérer des armes pour servir le projet terroriste de Coulibaly, l’ADN de Coulibaly se retrouvera sur une arme des Kouachi. La majorité des armes viennent de Lille, c’est vrai, mais il y a aussi un trafic d’armes via Metin Karasular. On trouve aussi qu’Ali Polat a un comportement suspect, lorsqu’on perquisitionne chez lui on trouve un passeport délibérément caché. Ce passeport nous indique que le 12 janvier 2015 Ali Polat part au Liban, le 17 janvier il tente de passer la frontière Syrienne dont il est refoulé et rentre en France le 19 janvier 2015, donc quelques jours après les attentats de Coulibaly Ali Polat tente de rejoindre la Syrie. Le 20 janvier il réveille sa mère et lui demande de l’amener à l’aéroport. On voit Ali Polat errer dans les différents terminaux, il tente de prendre un avion mais est refoulé car il a une IST (interdiction de sortie du territoire). Il retourne en Belgique et là il prend un avion direction la Thaïlande. Il revient le 25 janvier 2015 en France. Tous ces voyages sont assez surprenants. Ali Polat nous dit qu’il a paniqué après les attentats. Pour la Syrie il invoque son droit au silence. Concernant les croyances religieuses d’Ali Polat, il vient d’une famille Alévi, famille musulmane très modérée. Il se convertit réellement en 2014. Sur son iPad on retrouve différentes photos qui ont un lien avec la Syrie, ainsi qu’un document relatant le salaire des combattants en Syrie. En février 2015, on intercepte une conversation entre sa mère et une amie où elle se plaint du radicalisme de son fils, qu’il la traite elle et sa fille de mécréantes et de perverses. » A ce moment-là Ali Polat hurle comme jamais et s’adresse à l’enquêtrice : « TU VAS LE PAYER CA ! » L’enquêtrice demande juste à pouvoir déposer normalement. Elle continue : « Madi N., l’ami, explique qu’un jour il écoutait du rap et Ali Polat lui a dit que ça n’était pas compatible avec l’islam, très énervé. » Heureusement que Madi N. n’écoutait pas Giorgio Gaber et son « Io se fossi dio », il aurait été tué sur place. L’enquêtrice reprend et dit que dans le garage-déchèterie de Metin Karasular Coulibaly et Ali Polat prient un jour et qu’Ali Polat a une intolérance radicale à l’égard de tous les non musulmans. Le Président pose des questions sur la proximité entre Coulibaly et Ali Polat et l’éventuelle emprise de Coulibaly sur ce dernier. Elle explique qu’on ne peut pas parler d’emprise, Willy Prévost était un bouc émissaire, Ali Polat est plutôt le bras droit de Coulibaly dans la hiérarchie. Elle rappelle que dans la nuit du 5 janvier 2015 Coulibaly donne deux téléphones, l’un à Cherif Kouachi, et l’autre à Ali Polat. Ali Polat hurle encore et l’avocat général aussi, il lui dit qu’il dépasse les limites et la loi. Le Président le menace de l’expulser encore. Me Coutant-Peyre dit : « Bon euh mon client estime être incarcéré pour rien. Il n’aime pas qu’on parle de sa maman, comme tout le monde, c’est un enfant. Je me bats avec lui pour qu’il se calme. »
Un avocat partie civile demande si on peut toujours croire à la dette de 15 000 euros qu’Ali Polat dit devoir à Coulibaly, l’enquêtrice dit que non. Une autre avocate demande comment on peut interpréter l’épisode de la pomme d’amour et du passage à l’Hypercacher. L’enquêtrice répond que ça peut être vu comme un hommage « après, il aime peut-être les pommes d’amour. » Et l’avocat de Metin Karasular fait son entrée. Il est tout petit, on dirait qu’il n’a qu’une phalange aux doigts, il ressemble à un personnage de Peyo. Il lui dit : « Quand vous dites là-haut vous dites que pour vous c’est la Belgique, mais ça peut être Lille aussi. » En vrai on dirait un avocat partie civile. L’enquêtrice répond qu’au vu des téléphonies, il s’agit bien de la Belgique. Me Coutant-Peyre va être, comme souvent, un peu confuse : « Bon déjà, vous parlez moins vite que vos collègues… Vous dites qu’Ali Polat mon client a été surveillé pendant deux mois bon vous savez que c’est un procès de substitution alors mon client est donc le bras droit. Pourquoi il n’est pas arrêté plus tôt alors ? » L’enquêtrice répond qu’il fallait de la matière pour l’arrêter et pas juste les déclarations de Willy Prévost. Après ça, Me Coutant-Peyre s’embrouille sur les deux adresses d’Ali Polat et de bornage téléphonique, alors que l’enquêtrice a évoqué des « contacts directs » et puis elle dit : « Et le sac d’armes pourries vous en faites quoi ? Vous donnez pas suite ? » L’enquêtrice répond que si, que Michel Catino récupère le sac d’armes, qu’il l’amène chez Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez et que ces deux derniers cachent le sac chez Sandy, qui contacte son ex car elle a peur et ils balancent les armes pourries dans la Meuse. Faut suivre, c’est très très fatigant. Me Coutant-Peyre continue, d’après elle il n’y a que Willy Prévost qui dénonce Ali Polat, à croire qu’elle n’a pas écouté les deux dernières heures. L’enquêtrice répond que non, il y a aussi Abdelaziz Abbad qui parle du sac chez Ali Polat. Me Coutant-Peyre : « Abdelaziz Abbad qui s’auto incrimine c’est formidable ! » Elle continue et « fait remarquer » à l’enquêtrice qu’un expert en armes est venu dire que les armes utilisées par Coulibaly ne venaient pas de France mais de l’étranger et que c’est Claude Hermant qui a vendu et remilitarisé les armes. L’enquêtrice lui rétorque la liste d’armes et les prix retrouvés chez Metin Karasular. Me Coutant-Peyre s’emporte, éructe, elle appelle l’enquêtrice « Madame numéro » vu qu’on ne sait pas son nom, elle crie sur le Président et enfin elle dit à l’enquêtrice que celle-ci n’avait pas à révéler que Coulibaly et Ali Polat priaient dans le garage, « un point qui n’existe pas dans le droit français ». L’enquêtrice dit que Coulibaly et Ali Polat ont bien le droit de prier mais elle disait ça pour souligner qu’ils sont même prêts à prier dans un endroit très sale. Me Coutant-Peyre crie que dans « PLEIN D’ENDROITS DU MONDE ON PRIE DANS LA SALETE » et puis : « Vous n’êtes pas sociologue ! Y’a des gens ils font du yoga cinq fois par jour ! Y’a 6 millions de musulmans en France à cause de la décolonisation, faites attention ! » C’est la pause déjeuner.
Au retour, enfin le Président s’adresse à Ali Polat et lui dit : « Ce n’est pas une faute de langage ce que vous avez dit, Monsieur Ali Polat, vous avez menacé un témoin en lui disant qu’elle allait payer, des menaces publiques, directes c’est susceptible de poursuites pénales, la prochaine fois c’est l’expulsion ! » Ali Polat prend la parole et dit : « ALORS MOI J’AI PAS DIT TU VAS LE PAYER MAIS TU VAS ME LE PAYER » Et oui, ça change tout effectivement.
L’enquêtrice revient et ça va être très très compliqué pour elle. Elle va parler de la garde à vue d’Abdelaziz Abbad, je vais devoir condenser car en garde à vue il a évoqué cinq ou six versions différentes et elle les a toutes racontées. Bon il y quand même un truc drôle sur Abdelaziz Abbad, c’est qu’il a deux lignes téléphoniques avec des noms différents, dont une qui est Rachid Boulaouane et c’est le nom d’un personnage dans « Les trois frères », quand ils vont tourner la roue du Millionnaire, je pense être la seule à avoir rigolé en entendant ce nom. Abdelaziz Abbad a un an de moins que moi, je suis sûre qu’il a choisi ce nom-là exprès. L’enquêtrice de la SDAT explique qu’Abdelaziz Abbad n’est pas coopératif en garde à vue. Il est dans les stup, il est en garde à vue en 2017 sachant qu’il était déjà incarcéré depuis 2016 pour une histoire de meurtre dont il aurait été le commanditaire. Il condamne les attentats de Charlie. L’enquêtrice raconte un fait étonnant, elle dit que spontanément Abdelaziz Abbad évoque Saïd Kouachi en disant que celui-ci (qui vivait à Charleville-Mézières) est venu lui demander des armes en 2014 mais « Il n’est pas sûr que c’était Saïd Kouachi », il dit qu’il a reconnu Saïd Kouachi en voyant sa photo à la télé, « ça a fait tilt. » Là il divague, il raconte cinq histoires différentes mais je devais parler de Saïd Kouachi pour plus tard.
Abdelaziz Abbad est ami avec Miguel Martinez, aussi accusé. Tous les deux auraient acheté des armes à Metin Karasular qui a déclaré que des armes étaient arrivées sur son toit par hasard. Ça c’est pour les blagues. L’histoire que la SDAT croit c’est celle-là : Metin Karasular est belge, son bras droit est Michel Catino. Karasular a un « garage » mais il est dans différents trafics. D’un autre côté, Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez sont copains et font du business ensemble. Il y aurait eu achat d’armes pour Coulibaly, les armes achetées par Ali Polat. Le 25 novembre 2014, Karasular envoie Abdelaziz Abbad chez Ali Polat pour récupérer le sac d’armes, elles ne conviennent pas à Coulibaly. Abdelaziz Abbad dit que les armes sont « pourries » mais il ne savait pas qu’il devait ramener des armes, alors il refuse, c’est donc Michel Catino qui vient chercher le sac le 30 novembre 2014. Le sac remonte chez Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez mais ils le stockent chez Sandy qui flippe et balance tout dans la Meuse. Pour qu’on en arrive là on a eu droit à trois cents détours. Il y a des déclarations, Abdelaziz Abbad dit avoir filé 11 000 euros à Karasular, puis Abdelaziz Abbad déclare être descendu chez Ali Polat avec 5000 euros. Rien n’est avéré, ce sont des déclarations, c’est très compliqué et l’enquêtrice s’en rend compte. Elle explique que la garde à vue d’Abdelaziz Abbad a été très très dure à cause des changements de versions. Elle explique qu’Abdelaziz Abbad connaît l’épouse de Saïd Kouachi « ils sont amis depuis le collège. » L’enquêtrice insiste, elle nous dit qu’Abdelaziz Abbad a été contacté par Saïd Kouachi et qu’Abdelaziz Abbad raconte cela spontanément. Son audition est finie, elle ne sait pas que sur sa droite trois avocats s’apprêtent à la faire exploser en plein vol. Ils sont EXCELLENTS et n’avaient jamais parlé jusque-là, enfin ils font leur entrée. La première avocate à parler est Me Margaux Durand-Poincloux, une des avocates d’Abdelaziz Abbad, elle ne comprend pas trop l’histoire avec Saïd Kouachi [en fait si, elle comprend très bien] elle démontre que ça ne peut pas être Saïd Kouachi car lorsqu’il a été tué en janvier 2015 il avait une barbe très fournie, incompatible avec la moustache fine de novembre 2014. L’enquêtrice de la SDAT commence à se sentir mal, puis vient Me David Apelbaum, aussi avocat d’Abdelaziz Abbad. D’abord il est gentil, il demande juste à rappeler les faits avérés : « Nous sommes d’accord, Madame, que mon client Abdelaziz Abbad est en prison actuellement car donc il aurait vu un sac rempli d’armes, aurait refusé de le remonter, Catino le remonte et les armes sont dans la Meuse. Ce sont les FAITS on est d’accord ? C’est CA, le dossier ? » Oui, elle est d’accord et en fait lui il est ennuyé car ce que raconte l’enquêtrice bien évidemment c’est acté sur des PV d’auditions, elle ne peut pas inventer et si quelqu’un soupire en garde à vue c’est acté sur un PV, alors il revient sur le fait que « spontanément » Abdelaziz Abbad aurait parlé de Saïd Kouachi d’après l’enquêtrice. Il lit la première page de PV où sont décrits l’heure, la date, qui est Abdelaziz Abbad, la connaissance d’identité, enfin, la procédure. Et directement, sans aucune question, sur le PV est notifié que les enquêteurs montrent la photo de Saïd Kouachi à Abdelaziz Abbad. « Bon… On est dans une affaire de terrorisme et y’a ZERO lien avec les Kouachi car les enquêtes n’ont rien pu remonter et on montre la photo de Saïd Kouachi à mon client, c’est bizarre non ? Alors… j’entends l’explication, d’oubli de note sur le PV, mais ça relève d’une infraction pénale, Madame, alors y’a peut-être une autre explication ? » L’enquêtrice est très mal à l’aise. Me Apelbaum : « Bon, on n’aura pas de réponse, très bien. Je reviens, je vous ai écoutée attentivement, Madame, et là à l’audience vous nous dites que mon client Abdelaziz Abbad est ami avec la femme de Saïd Kouachi, c’est pour ça qu’il le connaît… J’entends, Madame, je vais vous lire le PV… Abdelaziz Abbad a connu la femme de Saïd Kouachi au collège. Ils ne se sont pas vus depuis 15 ans. Le problème, Madame, c’est que dans le PV c’est du passé et là vous nous dites qu’ils sont toujours amis. Alors je sais bien, mon client est resté longtemps au collège mais au moment des faits il a 33 ans, ça fait tard non ? C’est si important que ça, d’avoir un lien avec les frères Kouachi dans ce dossier ? Je comprends hein, ici on n’a que des gens liés à Coulibaly et rien pour les Kouachi alors faut trouver, faut un volet Kouachi sinon on n’a rien. » L’enquêtrice ne dit rien, elle est embarrassée. Me Apelbaum demande à ce que l’enquêtrice de la SDAT décrive les deux armes passées entre Catino/Karasular et Abbad/Marinez. Les quatre ont donné la même description, l’enquêtrice répond : « Un fusil de chasse et une carabine. » Me Apebaum : « Très bien, Madame. Est-ce que des armes de ce type-là ont été entre les mains de Coulibaly et, allez, entre les mains des Kouachi ? Est-ce qu’on fait un attentat à la carabine ? » « Non. » « Pas d’autre question. »
On passe à Miguel Marinez et là encore la SDAT va prendre cher. Miguel Martinez a eu une garde à vue en 2016, il est ressorti libre, et une seconde un an après en 2017 et depuis il est en prison. Il est converti à l’islam, son nom de converti est Abdullah, c’est un délinquant très proche de la religion on nous dit. Il a aussi un garage. Il est allé à la Mecque. De lui-même il dira qu’un jour Saïd Kouachi est venu lui acheter des pneus mais il n’avait pas les bons. Miguel Martinez déclare en garde à vue ne pas aimer Charlie Hebdo mais ne cautionne pas du tout les attentats. Chez lui il y a une arme. Il a connu Metin Karasular via Abdelaziz Abbad, il nie toute implication dans un trafic d’armes. Elle raconte : « Un jour en garde à vue Miguel Martinez nous raconte une anecdote. Il nous dit qu’il a entendu une conversation entre Catino et Karasular qui disaient qu’Ali Polat avait acheté des dattes pourries et que Coulibaly n’était pas content des dattes pourries et il voulait tuer les vendeurs de dattes pourries. Le mot pourri peut faire référence aux armes pourries que Coulibaly a refusées. » L’enquêtrice est contente de cette histoire, moi en vrai j’ai déjà entendu ça il y a quelques semaines, Ali Polat avait déjà parlé de dattes pourries, il disait que c’était comme ça qu’il avait rencontré Karasular, avec des dattes pour Ramadan, Ali Polat obligé d’aller jusqu’en Belgique pour trouver des dattes et elles sont pourries en plus. L’enquêtrice dit : « Ce volet Ardennais-Belge met en évidence un trafic d’armes. » Un avocat partie civile veut savoir si elle sait quelque chose de la radicalisation de Miguel Martinez, son évaluation, elle dit que non, ce n’est pas son rôle. L’avocate générale veut en savoir plus sur la pratique religieuse de Miguel Martinez. L’enquêtrice dit qu’il avait une grosse barbe, que sa femme est convertie, que son ex-beau-père disait qu’il était radicalisé, avec une chambre dédiée à la prière chez lui. L’avocate de Miguel Martinez débarque, elle est jeune et prépare ses scuds en loucedé, c’est Me Margot Pugliese : « J’aimerais avoir votre ressenti. En garde à vue est ce que vous, vous ressentez que Miguel Martinez est radicalisé ? » L’enquêtrice dit que non, pas du tout. L’avocate lui demande ce qui est trouvé en perquisition en 2016 au domicile de son client. L’enquêtrice répond : des photos à la Mecque et des livres religieux, aucun fichier sur l’EI, des photos de lui avec barbe et qamis et c’est tout. Ça paraît peu. Me Pugliese : « Il sort libre de sa garde à vue en 2016, pourquoi ? » l’enquêtrice de la SDAT : « On n’avait pas assez d’éléments pour le garder. » Et l’avocate commence : « C’est marrant… l’autre jour un expert en téléphonie nous dit qu’au vu des écoutes téléphoniques, il nous dit que dès la première garde à vue de Miguel Martinez il est convaincu d’avoir affaire à un malfaiteur dans une entreprise terroriste, donc je m’interroge… Vous voyez, ici nous avons Monsieur Christophe Raumel qui comparaît libre, il a fait 40 mois de prison, rien à voir avec les armes, excusez-moi mais là on parle d’un dossier où on incrimine au moindre doute et là Miguel Martinez en 2016 vous le laissez partir et c’est un an après que vous allez le rechercher. Quels éléments en plus avez-vous eu pour justifier une deuxième garde à vue ? » L’enquêtrice ne répond rien mais moi oui : il n’y avait aucun nouvel élément. L‘avocate continue : « J’ai quand-même le sentiment que Miguel Martinez il sert bien le volet islam dans cette affaire. C’est utile un Miguel Martinez, ça fait peur, il a une grosse barbe. » L’enquêtrice ne répond rien. Enfin si : « Je ne sais pas. » Et c’est fini. Ali Polat, son parcours est bien compréhensible. Concernant Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez, il n’y a rien encore une fois. Nous avons une suspension de quinze minutes.
Au retour on voit certains des fichiers contenus dans l’iPad d’Ali Polat : il y a moult photos d’enfants combattants en Syrie, des drapeaux américains et israéliens brulés, des photos de l’Hypercacher, de Coulibaly, des drapeaux de l’EI, une couverture de Paris Match avec Léa Seydoux, câline et mutine, un photo montage où quelqu’un qui porte « Je suis Charlie » est abattu, une photo qui dit « Je suis Kouachi », des photos de décapitations, Ahmed Merabet au sol mort, un chaton avec une kalachnikov, des photos du 11 septembre 2001, des photos de cadres d’Al-Qaïda. Je pars, Ali Polat est le seul à risquer la perpétuité, il va l’avoir.
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