On ne bouge pas pendant les obsèques

14 h sortie du taff direction l’église St Roch pour la dernière d’Ardisson, la rue est déjà barricadée et il y a du monde, essentiellement des vieux. Il y a les gens qui vont chez Hanouna, ceux qui vont à des procès et ceux qui assistent à des obsèques ça tombe bien ils avaient rien à faire ce jour là.

Je me mets devant l’église, dans la rue des gosses de 20 ans sapés comme les BB Brunes avec une coupe mulet « visiblement il se passe un truc de vieux », des touristes : « on avait prévu de visiter l’opéra alors on s’est dit on va venir voir on vient du Canada » bouteille de Tropicana dans la poche arrière du bermuda, il manque que la chaise du camping, beaucoup sont ici car ils n’ont pas pu aller au Tour de France, un appel à un copain : « là dis toi mon gars chuis à Paris chuis aux obsèques d’ Ardisson ouais ! », quelques personnes ont des looks à la Christophe, pas sur la liste des invités pour l’église ils restent derrière les barrières.

Un italien vient me demander si quelque chose de spécial se passe, je lui explique que c’est pour Thierry Ardisson« il se marie? » je le comprends vite fait il me parle en italien je lui réponds : « ah non il est mort » cazzo …

Les gens derrière les barrières n’ont pas respecté le dress code, pompes dorées, veste jaune anis et bob jaune pétant, un homme a même une veste promotionnelle Orangina, il y a une vielle tenancière de bar robe fourreau noire en viscose, elle a les cheveux relevés comme Brigitte Bardot, lèvres refaites, des lunettes avec écrit en gros GUESS et du rouge à lèvres sur les dents, Ardisson elle l’a connu elle dit « Thierry » quand elle parle de lui aux gens à côté d’elle : « Un jour j’avais été aux Bains douches c’est toute ma jeunesse, il était là quelle nostalgie, on pouvait parler de tout le sexe m’enfin !! » elle chuchote : « qu’est ce qu’on nous a retiré hein comme liberté, Lunettes blanches et lunettes noires c’était bien ça, on sortait tous les soirs de la semaine sauf le samedi soir parce que le samedi soir on était avec Thierry enfin lui dans la télé et moi sur mon canapé ! »

Arrive un groupe de personne une des femmes a « fabriqué » une toile pour Ardisson elle a pris un gros marqueur elle a écrit sur la toile « Thierry » et elle l’a dessiné très mal bien sûr, elle se promène avec sa pancarte, elle est victime d’une injustice elle était sur la droite de l’église et les flics l’ont dégagée pour la presse : « On a été viré du côté on était là depuis des heures » elle est dévastée réellement, elle ne sait pas par où les gens vont arriver ni le cercueil et ça la travaille « on était au meilleur endroit, la dernière fois on est arrivé les premiers.. »la dernière fois ? Oui elle est allée à tous les enterrements, Françoise Hardy, Jane Birkin, Alain Delon, elle était présente pour « le magnifique bah Belmondo !! » elle en a « rien à foutre des journalistes » elle demande aux gens devant moi de se déplacer pour lui laisser une place, demande rejetée, elle se victimise légèrement : « je l’ai demandé gentiment c’est dingue ça même pour un enterrement les gens ils font la gueule » un ami ( d’obsèques ?) rejoint le groupe « ça va Michelle ? » « non ça va pas chuis énervée ! Pour jane Birkin y’avait un grand écran là y’a rien c’est trop sobre ! »

Moi je m’attendais à voir un peu des gens déglingues, un Patrick Eudeline qui gerbe sur les marches de l’église comme je l’ai vu faire un matin trop tôt dans le métro, un Alain Pacadis essayant de se tenir mais l’assemblée est surtout composée de retraités qui n’arrivent pas à reconnaître les stars qui arrivent. Et c’est un peu dommage car justement chez Ardisson il pouvait y avoir Pierre Bellemare à côté de Larusso à côté de BHL à côté d’une actrice de cul à côté d’Amélie Nothomb et ses fruits pourries et puis Robert Ménard président de RSF. Il y avait les cagoles, les pétasses, Titia et Thalia, des curés et des complotistes, souvent des habitués, parfois des stars américaines, parmi les habitués de quelques mois il y a eu Guillaume Dustan avec ses perruques qui tentait de cacher son désespoir et son mal de vivre, je détestais voir Guillaume Dustan chez Ardisson, je le haïssais, 10 ans après j’ai lu Guillaume Dustan il était déjà mort quand je lui ai laissé quelques heures de lecture et il est maintenant sur l’étagère de mes auteurs favoris français c’est grâce à Ardisson que j’ai connu Dustan c’est peut être pour ça que je suis là, sans Ardisson et ses questions de cul à Dustan je ne l’aurais jamais lu.

Alors oui voir un public s’extasier sur Armande Altaï c’est pas à la hauteur du bonhomme, néanmoins j’apprends des choses car les gens cherchent des infos, Armande Altaï a 81 ans elle est née à Alep « en Turquie non? Mmm non c’est en Syrie ! Tu sais c’était la prof de chant de la star ac » et puis surtout Armande a l’air de se taper aussi tous les enterrements « t’as vu elle m’a fait un signe elle était déjà là à l’enterrement de Françoise Hardy, bah Denisot on le reconnaît pas lui ! »

Les vedettes arrivent, je reconnais des tête mais c’est très loin dans ma mémoire, beaucoup sont des gens qui squattaient les pages people de VSD lorsqu’il y avait des soirées où ils repartaient avec un portable, on les appelait alors « les Beautiful people » la vérité c’est qu’ils ont pris 20 ans dans la tronche et moi aussi ils sont donc méconnaissables et moi j’ai changé également.

Les gens autour de moi ne sont là quasiment que pour mitrailler les stars, quand quelqu’un dit « bah c’est qui ça? » si une personne du public sait elle doit le dire, heureusement une femme reconnaît facilement les gens, pourquoi ? « Je suis fille de flic je suis très physionomiste, j’ai vu la femme à Tapie bah à un concert et bah c’était elle » là elle a reconnu c’est : Pierre Arditi, je n’ose pas vraiment la contredire, je ne suis pas dans le groupe, Arditi a pris « un sacré coup de vieux » « bah c’est pas comme à la télé hein entre quand on les voit en vrai et dans le poste faut voir le maquillage hein!! » et donc Arditi est méconnaissable ce qui est normal vu qu’il s’agissait de Robert Namias en fait, ils se tromperont aussi sur Maïténa Biraben prise pour Chantal Ladesou, Raquel Garrido rebaptisée « Caruso » Jean Jacques Goldman confondu avec un membre des « nous c’est nous » LA déception de ces obsèques quand quelqu’un a dit « c’est Goldman ! C’EST JEAN JACQUES GOLDMAN » les gens ont crié « c’est pas possible il est où Goldman !!?? » ça n’était pas possible Jean-Jacques est sûrement à Londres. Florent Pagny sera là mais pas reconnu par la fille du flic physionomiste. « C’est pas lui » « je te dis que c’est lui » « non » et si c’était bien lui.

Un des retraités voudrait qu’il se passe un truc « dingue, un crash par exemple un truc qui ressemble à Ardisson un truc qui détonne comme le samedi soir avant !! »

« Avant » c’est peut-être le mot le plus prononcé aujourd’hui, avant le samedi quand on n’avait rien à faire dans le fin fond de la Charente à 16 ans, le samedi après midi consistait uniquement à aller boire un demi pêche au Globe et après traîner dans ma chambre, j’avais la chance d’avoir une énorme chambre, salle de bain, télé magnétoscope, lecteur DVD et décodeur Canal + donc le samedi soir c’était chez moi avec Vincent et Fred et on regardait Ardisson, en écoutant Baffie, Beigbeder ou un curé de franche comté, des actrices de cul époque journal du hard, Lio qui venait hurler les violences conjugales ou la mère de Michael blanc qui donnait des nouvelles de son gosse en taule, tout le monde en parlait tout le monde connaissait, tout le monde était là ceux qui étaient pas chez Ardisson c’étaient les gens du club des losers avec un L gravé sur le front, jamais Vincent ou Fred n’ont dit : « change lui je l’aime pas » on ne changeait pas de chaîne Baffie pouvait dire une connerie, Ardisson pouvait poser « la question qui tue ».

Méline, le blind test de Môssieur Philipe Corti, des rituels, est ce que sucer c’est tromper ? Et pourquoi pas savoir si De Gaulle était TBM ? On savait pas pour tante Yvonne, Ardisson lui il aurait creusé le sujet.

Ardisson il aura fallu sa mort pour que je comprenne à quel point il avait marqué ma vie et que je regrette un peu de ne pas l’avoir rencontré, en fait un jour je l’ai vu j’ai passé deux heures derrière lui à le voir se marrer, j’étais allée voir le spectacle de Gaspard Proust « Gaspard Proust tapine » au théâtre du rond point, ce soir là dans ce théâtre nous étions dans une toute petite salle, assis sur des chaises comme on en trouve sûrement à la mairie de Confolens quand le maire présente ses vœux, il manquait que les curly, ce soir là derrière moi il y avait Philipe Gildas, devant mon siège c’était Ardisson j’étais dans un genre de sandwichs d’un côté Nulle part ailleurs de l’autre Tout le monde en parle, je me souviens d’Ardisson stature massive, noire bien sûr j’étais tellement proche de lui que je pouvais lui gratter la nuque, nous étions en 2011 Gaspard Proust n’était pas connu mais un petit article dans Libé avait suffit à me convaincre d’aller voir cet humoriste, ce soir là entre Gildas et Ardisson Gaspard Proust a sûrement joué un moment de sa carrière l’année d’après il s’est retrouvé chroniqueur chez Ardisson dans « salut les terriens »

La famille d’Ardisson est arrivée à l’église, d’autres invités aussi, l’église s’est remplie, une seule voiture autorisée à s’arrêter devant l’église : Brigitte Macron « Ah bah ils sont partout eux ! » les gens pas hyper contents des réformes annoncées pourtant aucun d’entre eux n’aura à travailler un jour férié ou deux. Gabriel Attal présent aussi très discrètement, le corbillard arrive? En sort le plus beau cercueil que j’ai pu voir, cercueil noir bien sûr, des gens applaudissent et crient « MERCI THIERRY » moi j’ai le cœur qui se serre un peu, un tout petit peu car mon dernier cercueil à moi dedans il y avait mes parents et mon cœur est devenu un peu trop sec pour les autres, dans ce magnifique cercueil noir il y a un corps qui emmène avec lui une petite part de ma vie, mon adolescence.

Producteur de sa vie Ardisson nous donnait son adresse avec le titre de ses émissions, et racontait ses années drogues, libertinages, expériences homo, producteur de sa mort aussi : dress code respecté parmi ses amis, aucune provocation, lunettes noires fringues noires pour l’homme en noir, tout le monde a respecté les volontés d’Ardisson lui seul se permettait l’irrévérence, c’était pareil le samedi soir à Cognac ni Vincent ni Fred ni moi ne bougions pendant le jingle

M Écrit par :

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