Jeudi 17 septembre 2020. 9ème audience.
Avant de raconter l’audience du jour je dois raconter le « scoop » sur Amar Ramdani, dont on a parlé aujourd’hui. Amar Ramdani est cet accusé qui m’a intriguée le jour des présentations des accusés. Il parle bien, il est drôle, il cite Boris Vian, il est charmeur, il a un « truc en plus », un truc qui m’interpelle, un truc qui m’a fait plonger dans ce procès, pourquoi ce mec-là est dans le box ? Il y a quelques jours j’ai cherché des infos sur lui, je regarde sur le planning qui sont ses témoins et je vois une femme, Emmanuelle, je suis intriguée, je cherche donc qui est « Emmanuelle » pour « Amar », je tombe direct en premier lien sur un reportage de 7 à 8, reportage qui date de février 2015. Dans ce reportage consacré aux attentats, on y parle d’Amar R., complice présumé des attentats. Dans ce reportage il est expliqué « qu’Amar R. est fiché S, soupçonné d’islamisme. Emmanuelle est la compagne d’Amar R… mais Emmanuelle est aussi gendarme, chargée de former des gendarmes aux renseignements… sur le terrorisme. » Je trouve ça dingue, je regarde le reportage, ébahie, et je me dis que mince c’est pas possible moi je me suis laissée attendrir par ce mec-là car il parle bien, qu’il a « pas l’air », et qu’il m’intrigue, je vis avec eux depuis deux semaines. Je suis vraiment dans l’interrogation et en même temps mon intérêt pour lui reste le même, je veux vraiment voir son audition. On va parler justement aujourd’hui du reportage de 7 à 8.
L’audience doit débuter à 9h30, la cour a trente minutes de retard. On a l’image de la salle d’audience mais pas de son. Soudain les avocats de la défense s’en vont, suivis par les avocats de la partie civile, il n’y a plus aucun avocat dans la salle, juste les accusés, la presse et des dessinateurs, personne ne comprend rien. Il y a maintenant plus de quarante-cinq minutes de retard. En attendant Jipé s’interroge sur « Pourquoi Hidalgo elle va venir témoigner hein ? » Une dame lui dit qu’elle va « représenter la LICRA » Jipé : « Ah ! Voilà madame je sais tout ! »
Toujours pas de nouvelle concernant l’audience. Soudain le Président, il a pile une heure de retard, les avocats de la défense sont là, pas les parties civiles, le Président ordonne le commencement de la journée, un avocat de la défense prend la parole : « Les parties civiles ne sont pas là c’est compliqué. » Le Président, énervé : « C’est leur problème ! L’audience est censée commencer à 9h30 ! », et on commence sans aucun avocat de la partie civile ce que je trouve incroyable (ils reviendront au bout de vingt minutes). Michel F. est appelé à la barre. Il est habillé comme un croque-mort on dirait un peu Michel Vuillermoz. Il était chef de service département PJ du 92 à ce moment-là, son service a enquêté sur le 7 janvier au soir, la tentative d’assassinat sur Romain D. et le 8 janvier sur la mort de Clarissa Jean-Philippe. A ce moment-là les affaires ne sont pas reliées au terrorisme donc c’est « du droit commun ». Il vient donc raconter la chronologie des faits et il est moins clair que les deux précédents commissaires qui ont déjà parlé. Il explique que le 7 janvier 2015 au soir on a tiré sur un homme « sans raison », un homme qui faisait son jogging, un homme qui reçoit 5 balles, aux genoux, abdomen, bras, sous la fesse, un individu assis sur un banc lui a tiré dessus comme ça au hasard. L’homme touché, Romain D. est « heureusement en très bonne condition physique » donc malgré toutes les balles dans le corps il arrive à s’enfuir et trouver refuge chez quelqu’un qui appelle les secours. Michel F. explique que la victime dit s’être fait tirer dessus par un homme de type « européen, voire nord-africain, mais après Romain D. va confirmer que c’est Coulibaly. » Bien sûr la victime va mal, elle est plongée dans un coma artificiel et ne peut être interrogée que le 14 janvier 2015. Les policiers l’interrogent et lui présentent différentes photos. Romain D. reconnait « Amar Ramdani » mais Amar Ramdani a un alibi : au moment des faits son téléphone borne ailleurs et il a plusieurs conversations téléphoniques donc : « C’est peu probable que ce soit lui. » dit Michel F. L’enquêteur en vient au lien avec Amedy Coulibaly. En fait, l’arme utilisée pour tuer Romain D. est une des armes qu’on retrouve à l’Hypercacher, et l’ADN découvert sur l’arme à l’Hypercacher est celui de Coulibaly, voilà comment le lien est fait. C’est la même arme mais… est-ce Coulibaly ? Michel F. explique qu’on ne peut faire que des hypothèses. Pourquoi ce joggeur a été victime ? Peut-être pour « essayer l’arme ». Le 8 janvier 2015, la SDPJ est saisie à cause de la mort de Clarissa Jean-Philippe, policière en service, et d’un blessé grave, un employé de la Mairie de Montrouge. Michel F. explique : « A 7h10 un accident a lieu, donc un événement totalement imprévisible. Des policiers sont dépêchés sur place pour fluidifier la circulation. A 8h04 Clarissa Jean-Philippe est touchée par un tir provenant d’Amedy Coulibaly qui venait d’agresser des passants. Coulibaly tire aussi sur un employé municipal qui sera dans un état très grave. Un homme se jette sur Coulibaly pour le désarmer. S’ensuit une bagarre, Coulibaly s’échappe, tire sur des gens et prend une voiture. Le véhicule sera retrouvé à Arcueil abandonné. » La question est de savoir ce que faisait Coulibaly à ce moment-là à cet endroit-là. L’accident était imprévu donc il ne cherchait pas forcement à tuer un policier. Les policiers ont des pistes dont une « sérieuse ». Pas loin de l’accident se trouve à Montrouge une synagogue qui fait aussi crèche et école primaire. La veille une femme de la synagogue a vu un homme rôder autour, un comportement inhabituel. Pour la police, l’idée de Coulibaly était cette synagogue. Comment Coulibaly est identifié ? Il est expliqué qu’au moment où les frères Kouachi sont identifiés on prend leur dossier et on regarde l’entourage. Il est dit que la personne qui a tué Clarissa Jean-Philippe est noire, et il y a deux personnes de type noir dans l’entourage des Kouachi. L’un des deux est Coulibaly. Ils sortent des photos, les montrent aux témoins, c’est lui, c’est Coulibaly. « La traque commence. »
L’identification de Coulibaly sera appuyée aussi par l’ADN dans une cagoule qui est tombée lors de sa fuite de Montrouge. La police fait des perquisitions de nuit dans les différents domiciles de Coulibaly, il est introuvable. « Malheureusement à 13h le 9 janvier on sait où est Coulibaly, il est à l’Hypercacher. » La brigade criminelle laisse place au service anti-terroriste.
Le Président va demander des précisions sur les deux évènements (tentative d’assassinat de Romain D. le 7, mort de Clarissa Jean-Philippe le 8.) Le Président prend la déposition de Romain D., le joggeur a entendu : « Prends ça enculé » au moment où le tireur voulait le tuer. Le Président dit : « Euh voilà bon Coulibaly attaque donc euh je dirais euh un établissement où il y a donc euh des clients qui viennent donc dans cet établissement en raison de euh je dirais leur euh appartenance à la religion juive donc qui vont dans un établissement euh juif euh je dirais en raison de ça et Monsieur R. le joggeur lui euh je dirais n’est pas juif vu qu’il se dit chrétien… » Une avocate partie civile prend la parole, elle est l’avocate d’un des jeunes tués à l’Hypercacher, elle demande : « Vous avez évoqué la piste de pourquoi Coulibaly se trouve à 8h04 à Montrouge. On sait que la moto utilisée par Coulibaly le traceur a été retiré, l’école juive ouvre à 8H00, ça ne vous évoque rien ? » Michel F. bien sûr répond ce que toute la salle a déjà compris : « Si. Mohammed Merah. C’est le même mode opératoire. » Il est dit que sur l’ordinateur de Coulibaly on retrouve un mail envoyé par peut-être le commanditaire des attentats : « Fais ce que tu as à faire aujourd’hui mais simple comme ça tu rentres dormir ensuite tu planques et vérifies adresse tous les jours, indications bientôt pour récupérer amis aider toi, débarrasse toi puce, maintenant passe sur adresse 1 fin adresse 2» Sont évoquées les gardes à vue de la mère et de la sœur de Coulibaly qui « tombent de haut », sa sœur « le renie, elle n’approuve pas du tout les actes de son frère ». L’avocat d’Amar Ramdani, Me Christian Saint-Palais prend la parole et veut que Michel F. écarte « définitivement » l’implication d’Amar Ramdani, vu que son téléphone ne borne pas au moment où le joggeur se fait tirer dessus. Michel F. refuse de dire « définitivement », il dit : « C’est peu probable que ce soit lui. » Me Coutant-Peyre arrive et demande : « Votre service a été dessaisi le 9 janvier, donc vos hypothèses [sur la volonté de Coulibaly d’aller faire une tuerie à la synagogue/école] ça vient d’où ? » Il explique que c’est une interprétation et que « au vu des éléments » tout laisse penser ça. Me Coutant-Peyre : « Je vous pose la question car là vous faites des extrapolations, des hypothèses, alors que bon ça vous concerne pas. » A chaque fois qu’elle s’adresse à des témoins ils sont déconcertés par ses questions. C’est la pause.
Cet après-midi Romain D. le joggeur va venir témoigner et ça va être une révélation. Il raconte son jogging, les balles. Il n’a pas envie d’être là ça se voit. Il entend le tireur arriver vers lui, il tombe, il se relève, le tireur le poursuit. Il a regardé ses yeux. Il dit au Président : « Je sais pas ce que vous voulez que je dise. » Le Président lui dit des phrases banales comme : « Donc je dirai que euh à ce moment-là on peut dire que le tireur ne vous veut pas du bien… » Il va dire que « Pendant un mois et demi j’ai été opéré tous les 2 jours. » On lui a retiré deux mètres d’intestin grêle, il a passé un an à l’hôpital. Il explique que le 14 janvier à son réveil de coma les flics sont là pour l’interroger et tout s’effondre : « Je vais vous dire comment ça s’est passé. Les policiers ils viennent, ils me demandant 10 fois T’es sûr que c’est pas un noir qui t’a tiré dessus ? T’es sûr que c’est pas Coulibaly ? » Moi je dis Non, il était pas noir. » Le Président l’arrête pour savoir s’il a vu des photos avec les policiers. Oui, les policiers lui ont montré des photos et on évoque même la nuance de couleur de peau de Coulibaly : « Noir profond ». Romain : « Il était pas noir je suis formel. » Il évoque l’insistance des policiers pour incriminer Coulibaly. Sauf que si l’arme est bien la même pour le joggeur et l’Hypercacher, le tireur n’est peut-être pas le même et dans ce cas-là, le tireur n’est pas connu. Le Président lit une déposition faite par Romain D. le 6 mai 2015 : « Ce qui est sûr c’est qu’il était pas noir. » Le témoin le redit : « Non il n’était pas noir. » Le Président explique qu’un « album photo » a été montré à l’accusé, 33 photos, sur certaines il y a des gens qui sont dans le box. On voit l’album photo, c’est un sketch, la salle rit pour deux raisons je pense : première raison, les photos ne « donnent pas envie », ils ont tous la tête de l’emploi, puis pour les photos de personnes noires elles sont tout bonnement inexploitables, avec le manque de lumière on ne distingue RIEN, aucun trait du visage. Le Président : « Vous avez dit que votre agresseur pouvait correspondre aux photos numéro : 14, 22, 23, 30, 33 », la photo 23 est la photo d’Ali Polat, la photo 33 est celle de quelqu’un qui n’est pas un accusé, les photos 14, 22 et 30… c’est Amar Ramdani qui est dessus. Retournement de situation. Le témoin affirme que non, c’est pas Coulibaly qui lui a tiré dessus contrairement à ce qu’affirmait Michel F. ce matin, mais Amar Ramdani présent dans le box des accusés, « A 80% je suis sûr que c’est lui. » L’avocate d’Amar Ramdani Me Daphné Pugliesi monte au créneau, première question : « Monsieur, quand pour la première fois voyez-vous la photo d’Amar Ramdani ? » « Dans un reportage de 7 à 8. » « Donc quand on vous propose les photos, vous connaissez DEJA la tête de Monsieur Ramdani via le reportage. Amar Ramdani est à Garges-les-Gonesse à ce moment-là, au moment de votre agression. » La victime : « Non. Son portable est à Garges-les-Gonesse. » L’avocate continue : « Comment on se sent, Monsieur, quand au bout de cinq ans on ne sait pas qui est responsable de son agression ? » Romain D. : « On vit mal. », « Plus de question, Monsieur le Président. » Le Président offre la parole à Amar Ramdani. Il rappelle que celui-ci n’est ABSOLUMENT pas poursuivi pour l’agression du joggeur, qu’il n’est pas mis en examen et que la cour n’examine que ce qui est légitime. Amar Ramdani se lève et dit qu’il a de la compassion pour Romain D. Ils se font face, masqués, Amar Ramdani le regarde, le témoin regarde devant lui, Amar Ramdani poursuit : « Je ne sais pas trop comment réagir à ce qui vous est arrivé Romain, j’ai de la compassion c’est triste. Si lui il est sûr à 80% que c’est moi, moi je suis sûr à 100% que jamais j’ai tiré sur quelqu’un de ma vie. La juge voulait faire un tapissage [ndlr : une rencontre via une glace sans tain], moi j’avais dit oui si ça peut l’aider à dormir je le fais volontiers même si mes avocats ils voulaient pas. Moi le reportage de 7 à 8 dedans on voit pas mes yeux et il m’a fait beaucoup de tort. Moi je sais que juridiquement je risque rien ça j’ai compris mais humainement c’est un problème. » Romain D.: « Il y avait deux photos dans le reportage. » Amar Ramdani dit : « Non, une seule. » L’avocate d’Amar Ramdani : « En fait la deuxième photo dans le reportage venait d’un compte Facebook d’un homonyme de Monsieur Ramdani. » Le Président : « Ah bah si on fait des enquêtes avec Facebook maintenant. » Romain D. : « J’ai dit que c’est vous qui ressembliez le plus à celui qui m’a tiré dessus c’est tout. » Plus de questions, ni rien. Romain D. quitte la barre et moi le tribunal. Je prends un jour de repos de procès. Lundi commence la semaine de l’Hypercacher et ça va être très dur.
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