« Vous n’êtes pas là pour écrire l’histoire mais pour juger des hommes. »

Mercredi 9 décembre 2020. 37ème audience.

Les plaidoiries défense continuent, ce matin nous allons avoir Christophe Raumel qui vraisemblablement ne retournera pas en prison, il a été demandé cinq ans contre lui il a déjà fait quarante mois avec les remises de peine ça devrait le faire. Puis nous entendrons après les avocats de Michel Catino et Metin Karasular deux accusés assez falots, une peine très lourde a été demandée contre eux quinze ans, même la salle a réagi. Hier Me Coutant-Peyre a parlé de tout le monde sauf de son client pour sa plaidoirie, l’avocate de Christophe Raumel va sûrement faire l’inverse et parler uniquement des faits concernant son client. 

Je cherche  la salle du public aujourd’hui l’auditorium est consacré à Sarkozy, je monte au niveau de la salle d’audience les policiers très gentils ne sont pas au courant, j’envoie un message à mon avocat de la défense qui me dit que c’est incroyable que je ne puisse pas y assister et il va se renseigner auprès des greffiers. En sortant du couloir de la salle d’audience je vois l’avocate de Christophe Raumel en train de parler à ses stagiaires de sa plaidoirie, elle dit le mot « totalitaire » plus loin Christophe Raumel est assis sur un banc, seul, concentré.  J’apprends que je peux assister au procès dans la salle à côté de l’audience, j’envoie un sms à mon avocat de la défense il me dit : « Ouf j’ai pas encore gueulé » j’arrive en haut et des policiers me demandent : « La raquette ? Vous avez fait la raquette ? »  La raquette c’est passer la sécurité et je suis passée sans aucun contrôle. La salle où je suis aujourd’hui est petite, écran petit, très mauvais son, pas le confort de l’auditorium, c’est une petite salle d’audience, je n’ai pas de pupitre je vais devoir écrire sur mes genoux, derrière moi les stagiaires de Me Clémence Witt sont venues écouter sa plaidoirie. Me Coutant-Peyre libérée de sa plaidoirie fait coucou de la main à des avocats partie civile, elle est au théâtre maintenant et s’apprête à regarder les pièces de ses confrères.

Me Clémence Witt s’approche à la barre :

« C’est avec humilité et détermination que je m’adresse à vous. Humilité car les faits sont graves, la défense de Christophe Raumel s’incline devant la souffrance des victimes et durant ce procès il a été inadmissible que des parties civiles s’indignent de la compassion des accusés. Parfois nous avons tous vécu la même chose lors de ces audiences je pense notamment lorsque les caricatures de Charlie Hebdo ont été montrées nous avons ri ensemble, puis il y a eu l’invisible, lorsque Coco ou Sigolène Vinson ont témoigné Christophe Raumel s’est tourné vers moi et m’a dit  Ce sont des héros. Images macabres, scènes de guerre, témoignages glaçants collectivement nous avons été terrifiés et ce procès n’a pas permis d’apporter des réponses. Ce procès a servi de catharsis nationale sur le totalitarisme et est devenu un peu une commission vérité plutôt qu’un procès d’assises. Seulement cinq questions ont été posées à Christophe Raumel. En neuf semaines c’est peu. Christophe Raumel est le seul à comparaître libre car son rôle est connu de tous, en posant si peu de questions les avocats généraux ont confirmé que la participation de Christophe Raumel est minime, comme pour le réquisitoire où il a eu droit à dix minutes. Même vous Monsieur le Président vous l’avez oublié lors d’un tour de questions. Et c’est avec détermination que j’aborde son cas. Précisément de quoi est coupable Christophe Raumel ? D’avoir accompagné pour acheter des tasers, couteaux, gilets…des choses légales, d’avoir stocké chez lui les achats, d’avoir été présent lors de l’achat de la Scénic et lors du retrait du traceur de la moto. Amedy Coulibaly il ne le connaissait pas soyons très clairs Christophe Raumel et lui n’ont jamais eu de proximité. Quelle est la vie de Christophe Raumel de 2011 à 2015 ? C’est une vie d’errance. Il traîne. Il amène sa fille à la crèche. Alors on accompagne les copains pour sortir du quartier. Qu’est-ce que Christophe Raumel a gagné de ces achats ? Une paire de gants et un Macdo, pas d’argent. Christophe Raumel ne nie pas sa responsabilité il n’est ni contraint ni forcé au moment des achats, il reconnaît la matérialité de faits. Oui il est coupable et je serais sûrement la seule à ne plaider ni l’acquittement ni l’acquittement partiel. Il y a zéro zone d’ombre Christophe Raumel n’a jamais minimisé et il a de suite reconnu les faits. Je l’ai rencontré le 20 janvier 2015 et je vois un ado de 25 ans. La première chose qu’il me dit c’est : Est ce que ça va se savoir ?  là où il y a il y’a un arsenal policier, des hélicoptères, des journalistes et moi je le rends compte de l’abîme qu’il y a entre lui et le dossier. Lorsqu’on lui lit la mise en accusation il a des vertiges, hagard, choqué. Son deuxième choc c’est la prison. Le troisième c’est la prise de sang qu’on fait à chaque détenu qui arrive, lymphome au stade avancé. C’est la peur d’être emporté par la maladie, seul, sans sa famille. Même le chef du service médical s’inquiète de sa détention. Je me dis que peut-être il ne va pas survivre je cherche à le faire libérer et c’est la froideur de la machine judiciaire, il passe trente-neuf mois en prison. Le 14 mai 2018 il sort avec un bracelet électronique, retour à une vie quasi normale. Mais depuis son interpellation il est hanté et suspendu à votre décision. Ce procès est une épreuve de plus. Il est là discret sur son strapontin, traqué à l’extérieur par les journalistes il arrive à l’aube. Il y a eu aussi la calomnie de son ex Aminata et la terreur d’être réincarcéré. Le but de la justice est de punir, dissuader, réinsérer. Missions remplies. Vous avez la vie de Christophe Raumel entre vos mains. Souvenez-vous, vous n’êtes pas là pour écrire l’histoire mais pour juger des hommes. Je vous demande donc de vous inscrire dans le choix que la justice a déjà fait et de laisser Christophe Raumel en liberté. »

Fin de la plaidoirie ça a duré une heure..

Immédiatement Me Béryl Brown avocate de Michel Catino plaide. Hier nous avons eu des réquisitions en dehors de toute réalité, alors Michel Catino dans les faits il est accusé de quoi ? D’avoir rapporté un sac d’armes de chez Ali Polat … armes qui n’ont pas servi pour les attentats… et d’avoir vu Coulibaly au garage de Metin Karasular. Quinze ans donc demandés pour ça. La justice française. 

Elle prend la parole : 

« PARDON. PARDON 1000 fois pardon. C’est facile de dire que c’est sa faute et de venir demander pardon c’est ce que veut entendre la meute. Les excuses ne sont pas venues. On a refusé d’entrer dans l’histoire en ne s’interrogeant pas sur les dysfonctionnements mais il faut un coupable quoiqu’il arrive car la souffrance est trop grande, le crime est trop grave. On voudrait ressusciter les morts pour les tuer mais on a trop de cœur. On voudrait ressusciter les morts pour les juger mais on aime trop la justice. Et la haine. Il en faut de la haine pour ça. L’assassinat court toujours c’est l’idéologie. Il aurait fallu juger les fanatiques, le fanatisme mais ils sont loin et peut-être morts. Alors on va juger des vivants et les voilà, et le voilà. C’est un honneur de plaider pour Michel Catino celui qui ne peut pas demander pardon. Michel Catino chaque jour avec des menottes, traîner en laisse comme un chien et qui ne se plaint jamais. Michel Catino de Charleroi bien loin de la Syrie, j’entends le témoignage de Sonia j’ai le goût de la poussière du sable à la bouche. On est très loin des salles sombres sales de poker de Charleroi de Metin Karasular. C’est là-bas en Syrie que se sont décidés les tueries, ça fait quatre ans qu’il est dans les sables mouvants de ce dossier. La magie des réquisitions existe elle dit si vous n’êtes pas un terroriste vous êtes quand même un terroriste. On se demande à quel moment les choses ont dérapé. Vous le savez avec le réquisitoire entendu hier je me dois de reprendre les éléments. »

Derrière Michel Catino bras croisés, ventoline posée, pour une fois il ne dort pas. 

« De quoi est-il coupable ? D’avoir conservé à son domicile deux armes pour Abbad et Martinez. D’avoir eu des contacts avec Karasular, Abbad, Martinez, et un contact avec Ali Polat. Et ceci est établi. Puis il lui est reproché d’avoir coupé son téléphone et ça n’est pas établi. Il y a de la matière mais est-ce punissable ? Les armes elles finissent dans la Meuse ou chez des petits caïds de Charleville-Mézières pas chez Coulibaly et le problème c’est que Michel Catino n’est pas poursuivi pour trafic d’armes mais pour une entreprise à caractère terroriste. Ça me dérange. C’est pour Kouachi et Coulibaly. Que ce soient d’autres armes ça pose une difficulté, il y a une recherche d’armes parallèles et si Michel Catino est accusé pour des armes différentes et le sac d’armes c’est pas pour les assises ça c’est pour le tribunal correctionnel. Ça suffit pas hein. Alors on bricole, un scénario, on rafistole. L’accusation comble le vide. QUI A VENDU LES ARMES AUX KOUACHI ? Les absents. C’est la frustration de ne pas voir la bande de Lilles dans le box. On le comprend le volet belge est là pour pallier la carence du volet Kouachi. Il y a une erreur de casting. Et on est tous d’accord pour dire que la personnalité de Michel Catino est d’abord un manque d’intérêt de tout.» 

Et elle parle de jurisprudence, de loi, d’autres procès. Derrière une avocate partie civile fulmine et secoue la tête violemment. Me Béryl Brown est convaincante, au début un peu larmoyante mais elle incarne sa plaidoirie et elle n’a pas besoin de me convaincre Michel Catino n’a pas à faire quinze ans de taule pour terrorisme. Elle explique que l’attentat n’a pas fait gagner le moindre sou à Michel Catino, qu’il n’y a que la mort et le sang.

« Et puis il faut de la haine. Pour faire ça. De la haine pour se faire sauter et y croire. Ils y croient aux 72 vierges, il faut être sympathisant. Michel Catino ce qui l’anime c’est le jeu et pour jouer faut des billets y’a pas de haine chez Michel Catino… y’a pas beaucoup d’émotion non plus comme le dit Jacques Brel et Ces gens-là où on cause pas on compte les heures, on est pas curieux » et elle lit un article de Charlie Hebdo et ça c’est fort, très bien joué, elle lit l’article qui décrivait Catino comme un pauvre mec accro au jeu « Et c’est très juste. Du côté du parquet on est pétri de certitudes on s’embarasse pas de détails ni de preuve, leur vérité s’écroule dès qu’on regarde un peu plus profondément » et elle reprend un à un les éléments de l’accusation, et y’a rien. A chaque élément elle dit : « Coïncidence ? Je ne crois pas. Démonstration ? Je ne crois pas non plus. » 

Elle poursuit : « Pas de preuves, pas de charges, des idées, on balance en l’air et on regarde ce qui tombe mais juridiquement rien ne tient! »  Elle parle d’un agent de renseignement qui disait ne pas avoir vu que Coulibaly était radicalisé et qui avait dit  y’a pas écrit terroriste sur son front,  Me Brown : « ET BAH CEST PAREIL POUR MICHEL CATINO ! »  et elle parle de la téléphonie, explique ce qui a déjà été démontré, non Michel Catino n’a pas coupé son téléphone le 8 janvier et jeté la puce il l’a laissé dans sa voiture car il était au Casino. « C’est heureux que le Casino ait des relevés ! Michel Catino est au Casino le 4,5,6,7,8,9,10,11 janvier et il ne borne nulle part car son téléphone est dans sa voiture » et elle termine sa plaidoirie en récitant encore un article de Charlie Hebdo, elle s’adresse à l’auteur dans la salle et le remercie du recul pris, elle cite :  Tandis que le monde s’est écroulé le 7, 8 et 9 janvier 2015 Michel Catino dans un état second jouait au Casino » elle est LA l’intention ! Vous pourrez l’acquitter de l’association de malfaiteurs en vue d’un attentat terroriste, terroriste bien sûr que non mais même de droit commun et vous le condamnerez à une juste peine pour le trafic d’arme et je passe la parole à mon confrère qui va développer la personnalité de Michel Catino ».

Fin de la plaidoirie d’une heure quinze.

C’est Me Fabien Lauvaux, belge qui prend la parole d’abord il s’excuse de son accent et des belgicismes qu’il pourrait faire, il dit sa « fierté » d’être ici : « Notre robe d’avocat en Belgique est de la même couleur que nos confrères français, j’ai été frappé par l’agressivité positive de tous mes confrères avec cette liberté qui nous appartient au pays des lumières, quel bel endroit que Paris » il cherche la nationalité je pense. Il évoque la tristesse de voir que son client n’a pas vu ses enfants depuis trois ans mais : « pas de misérabilisme c’est sans aucune mesure avec la souffrance des victimes qui eux ne les reverront plus du tout. Ici est le lieu géométrique où se rencontrent toutes les souffrances, le défendre lui, le belge, le vieux qui a presque septante ans »

Il explique les différences juridiques entre la France et la Belgique, en Belgique la cour d’assises spéciale n’existe pas, le rapport QER non plus et pas de fichier d’inscription terroriste, il dit trouver ça fort dommage de voir que la coopération de Michel Catino avec la police  « n’a pas été remercié, alors mon prochain client je lui dirai surtout ne dites rien ! Car c’est le même tarif ! » il récite un peu la même chose que Me Brown pour démontrer que l’accusation de terrorisme est illégitime « Je me retourne je vois son regard je ne vois pas un soldat du califat » il trouve que la peine demandée est « faramineuse », il explique que Michel Catino est vu comme un « SDF » par les autres accusés il ne cesse de dire « le vieux », il part sur un angle précis pour l’achat de la mini : il explique que c’est Le grec qui l’a acheté et c’est un peu confus mais il dit : « Alors ce Grec il nous dit que son fils travaille pour les services de renseignements israéliens, il y a Coulibaly à Charleroi, le grec a un passeport israélien et moi je vois Coulibaly et l’Hypercacher alors je m’interroge ? Il n’y a pas de réaction du ministère public ? »

C’est un peu alambiqué, il reparle de la Belgique et évoque même l’affaire Dutroux pour parler de son pays, il estime que la peine devrait être entre cinq et huit ans : « On le fera à la belge, en Belgique nous ne pouvons pas faire appel, nous ne ferons pas appel » et il lit lui aussi un article de Charlie Hebdo qui disait de Michel Catino « il semble, au milieu de ses codétenus aguerris comme des loups, l’erreur judiciaire incarnée » et c’est la pause il a plaidé un peu plus d’une heure.

L’avocat qui est venu me taper la causette hier revient me voir il plaide aujourd’hui et veut avoir mon avis sur ce qu’il va dire, je suis pas super certaine de pouvoir être franche. Dans la salle où je suis aujourd’hui le frère de Metin Karasular est là avec sa femme, et à 14h10 Me Bouchat prend la parole, il est belge aussi et défend donc Metin Karasular et c’est laborieux, de lui-même il dit : « Un mécanicien français s’exprime mieux qu’un avocat belge » désolée d’appuyer totalement cette expression après cette après-midi.

Il commence en parlant de l’audition du commissaire belge à l’origine de l’audition de Metin Karasular : « Le policier nous montre un powerpoint ça veut dire quoi ? Ca veut dire le pouvoir de faire le point moi je le traduis comme ça » Dans la salle la femme de l’avocat est venu le soutenir (elle est juge d’instruction, elle l’a dit à voix haute en même temps qu’elle cherchait à changer la température de la salle) elle boit ses paroles, elle a les yeux qui brillent. L’amour.

Il se met à parler d’une pièce du dossier et c’est incompréhensible il demande à la cour de retenir que Metin Karasular s’est présenté de lui-même à la police le 12 janvier mais ça on le sait depuis le début que Metin Karasular est le seul à s’être rendu de lui-même à la police sauf qu’on nous parle du 13 janvier (un lundi car le 12 est un dimanche et il ne pouvait pas être entendu ce jour-là donc on a dit à Metin Karasular de revenir le 13 au matin), l’avocat veut que ce soit la date du 12 janvier qui soit prise en compte et il parle de ça plus de trente minutes ! Je pose mon cahier à mes pieds, je n’écris rien, en plus il est quasiment inaudible car il parle à côté du micro. On apprend qu’en Belgique les « gardes à vue » n’existent pas, et qu’ on dit « privation de liberté » pour « mise en détention ». On serait tenté de penser qu’avec un avocat comme ça on a pas besoin d’un réquisitoire mais bon. Il parle du tokarev qui vient de Lille mais l’accusation soupçonne Metin Karasular de l’avoir vendu à Ali Polat et je lâche l’affaire et beaucoup de gens de ma salle aussi y compris des avocats venus écouter la plaidoirie.

Au bout d’une heure et demie de plaidoirie il parle du Grec, il y a un plan large de la salle d’audience, beaucoup d’avocats sont aussi partis, il reste cinq avocats parties civiles et dix de la défense. Il parle encore d’une chose incompréhensible et dit je cite : « Une relation avec la sœur jumelle de la sœur de la fille »  les gens sont pris d’un rire nerveux c’en est trop pour moi je pars, je n’écouterai pas la plaidoirie de l’autre avocat de Metin Karasular et ne lui donnerait donc pas mon avis. Metin Karasular qui ne mérite pas sa peine comme Michel Catino ni Christophe Raumel.

M Écrit par :

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