La non confrontation

28 octobre 2020. 33ème audience.

Ça piétine. Hier je suis partie sans savoir que l’audience allait se terminer 20 minutes plus tard. Je voulais absolument voir Me Coutant-Peyre interroger son client Ali Polat mais entre hurlements, répétitions des choses, et la gouaille sans interruption de l’accusé, je suis partie exténuée de ces deux jours. Ali Polat a eu raison de moi et m’a donné un mal de crâne. Ça devait être fini hier, deux jours entiers pour lui, la star qui fait son one man show, il lui est accordé une matinée supplémentaire où il va répondre aux questions de la défense. Hier, Me Lévy, avocat de Willy Prévost, a dit à Polat qu’il aurait fait un très bon avocat et c’est vrai. Seul accusé à brandir son dossier à la cour, il exige que les avocats lui donnent les cotes d’articles à retrouver, il sait tout du dossier, les heures, les bornages, les rencontres. Il maîtrise tellement son dossier que son avocate n’a même pas besoin de monter au créneau pour le défendre. Ali Polat est d’égal à égal avec la cour et les avocats. A une avocate il dit « Vous êtes malade ! » Au Président il dit « Non, je veux parler de ça ! » A l’avocate générale il dit « Je suis têtu, laissez-moi parler ! » Il devait répondre à des questions, lui, l’accusé, le plus important. Le tribunal lui aura offert un monologue sans interruption. Et c’est forcément de la tristesse qui sort de ces deux jours ; on espérait tous qu’il apporte un peu d’éclaircissement, de vérité. Ali Polat dit souvent « la vraie vérité » ou « c’est vraiment  vrai ». En nous disant ça il nous dit qu’il existe sûrement une « fausse vérité » et que c’est celle qui cache beaucoup de choses. Insupportable, ingérable, insolent, il aura fait de ce procès un spectacle. C’est drôle, on rigole beaucoup avec lui et de lui mais quand même, un procès historique comme celui-ci méritait peut-être autre chose. Plus de preuves, plus de tenue, plus de faits et pas juste des zigotos qui font marrer les gens. Demain les plaidoiries commenceront pour la dernière ligne droite de ce dossier. L’ombre du confinement plane sur la cour, on n’en parle pas mais tout le monde y pense.

Avant qu’Ali Polat ne parle, Me Clémence Witt, avocate de Christophe Raumel, s’avance à la barre. Elle rappelle que le 6 octobre, Aminata l’ex-femme de Raumel, est venue témoigner et a indiqué avoir été violentée par celui-ci, le parquet a ouvert une enquête. Elle dit qu’elle a souhaité vraiment que l’enquête puisse être faite du mieux possible, et elle dit : « Au bout de trois semaines d’enquête le parquet a classé l’affaire. C’est le témoignage d’une femme non pas menacée mais une mise en scène afin de porter atteinte à mon client, car elle estime celui-ci responsable de sa mauvaise réputation. J’annonce qu’une triple plainte a été déposée ce matin par mon client pour faux témoignage, faux et usage de faux et harcèlement moral. » L’avocat général confirme le classement sans suite de l’enquête ouverte contre Christophe Raumel. Ali Polat se lève et enfin Me Coutant-Peyre aussi.

Depuis le début j’attends ce face à face, ces deux personnalités si clivantes, provoquantes. Elle commence : « BON j’espère que vous avez compris hier avec la déclaration du Président qu’on vous met dans le lourd et en position d’hologramme des Kouachi et Coulibaly ! Hologramme alors qu’on sait que les armes viennent de Claude Hermant… Vous en pensez quoi ? » Ali Polat très très très calme : « Je suis un bouc émissaire. Jsuis complice de gens que je connais pas, j’ai été mis en examen pour les faits de complicité à la fin de l’instruction, au bout de quatre ans, je l’ai su lors de mon dernier interrogatoire. » Me Coutant-Peyre : « BON c’est des choses, voilà, que l’Etat français SAVAIT… A savoir qui était Coulibaly dans une vie cloisonnée on va dire. Bon vous apprenez en instruction la procédure pour terrorisme de Coulibaly. Bon il sort de prison le 15 avril 2014 je crois. La SDAT dit de lui que c’est un fervent musulman avec une pratique de la foi radicale. Vous saviez que la police le filmait, l’enregistrait ? » Ali Polat, qui a bien répété avec son avocat : « Non, à l’époque je savais pas et on était déjà amis et on est pas venu me chercher à ce moment-là. » « Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que Chérif Kouachi a été filé et que la procédure est close en 2013… OR ! Ce que savent les services de renseignements, c’est qu’ils savent qu’en 2011 Chérif Kouachi est allé rejoindre Peter Chérif au Yémen dans un camp d’entraînement ? » Ali Polat, consciencieux : « Ils ont pas fait leur travail. » Me Coutant-Peyre : « Vous, pouvez-vous être, euh, je dirais, bon y’a le vendeur d’armes Claude Hermant, d’extrême droite, raciste et vendeur d’armes et puis bon… Bon vous pouvez être, vous, l’intermédiaire pour Coulibaly ? » Ali Polat : « Non, impossible. » « Parlons de Monsieur Hermant et Tophe, dit Monstro, bon, en contact permanent avec les RG. C’est normal ça, que les indics aient pu vendre de telles quantité d’armes ? » Ali Polat, au service du Ministère de l’Intérieur : « Non c’est pas normal. Moi on vient me chercher pour une vente de voiture et lui il vient, il est dehors, et il vient nous narguer et il se dit victime. » Me Coutant-Peyre revient sur les infos que la DGSI et la SDAT avaient. Une fois de plus Polat dit qu’il n’a rien fait : « J’ai réellement rien fait. » Me Coutant-Peyre explique que certains avocats partie civile ont voulu ajouter l’aggravation d’antisémitisme pour Ali Polat. Lui il dit qu’il vient d’une famille tolérante et qu’il n’a rien contre les juifs. Me Coutant-Peyre, au top de la véracité psychologique de son client : « Bon, vous êtes fier et pudique là. Bon, quand vous revendiquez que dehors vous allez faire encore pire, vous revendiquez votre liberté de commettre des infractions de droit commun, bon, est-ce que c’est pas une réponse à ce qu’on veut vous faire porter ? » Ali Polat : « Bah ouais ! Chuis enervé, chuis impulsif. » Elle essaye de lui faire dire qu’il va trouver « un vrai travail » mais il n’y arrive pas, c’est super marrant à voir. On voit que travailler, ça le saoule, il gonfle les joues. Il dit qu’il va voir une psy pour l’argent à sa sortie « quand je vais être acquitté ». Me Coutant-Peyre dit aussi qu’elle espère le voir acquitté. C’est la fin des questions, on est en bout de procès et ça se sent.

Le Président rend différents arrêts concernant des demandes faites par Me Coutant-Peyre : c’est refusé à chaque fois. Le Président évoque différents témoins qui n’ont pas pu venir ou ont refusé, il explique qu’il va lire les dépositions de certains, puis il parle de Djamel B., cas particulier. Djamel  B. est un Algérien, il a fait partie du GIA, il a appartenu à Al-Qaïda , il avait comme projets des attentats contre la France. Il est l’idéologue des Kouachi qu’il connaissait. Il est déchu de sa nationalité française et renvoyé en Algérie. Le Président explique que du coup c’est compliqué, il a contacté le magistrat français qui est en Algérie et celui-ci lui a envoyé un mail. Le Président ne veut pas le lire, il est bien ennuyé. Finalement il nous lit le mail du magistrat. Celui-ci dans son courrier explique que « c’est off » mais les autorités algériennes ne répondront pas en ce qui concerne Djamel B., « C’est politique. » Un avocat partie civile explique qu’il avait donné les cordonnées de l’avocate de Djamel B. en France. C’est encore un Président ennuyé : « Oui, bon, je l’ai euh, bon, contacté et comment dire, elle a répondu dans, je dirais euh, des termes un petit peu problématiques. Bon, elle a opposé un refus de principe. » l’avocat demande : « Mais, il est libre ? » Le Président, toujours ennuyé : « Mmmoui. » l’avocat : « Sur sa fiche Wikipedia il est libre !! » Le Président lit quelques dépositions, il n’y a jamais eu aussi peu de monde au procès, il manque beaucoup d’avocats partie civile et des journalistes, des avocats lui demandent quand va avoir lieu la confrontation entre accusés, prévue là maintenant tout de suite. Le Président explique de manière déconcertante qu’en fait y’en aura pas, il n’en voit pas l’intérêt. Il donnera la possibilité à chaque avocat de poser des questions. Bon, moi j’attendais beaucoup ça.

Heureusement un témoin très sympathique arrive, il est en visioconférence, il est venu il y a quelques jours puis reparti avant d’être auditionné. Il est témoin pour Abdelaziz Abbad, il a vu le sac d’armes ramené de chez Ali Polat. Il parle spontanément de sa garde à vue : « J’ai eu du mal à gober quand les flics ils sont v’nus m’chercher. Moi chuis un ptit gars de la campagne ardennaise, là c’est des attentats whaou ça fait le tour du monde ! J’étais choqué d’apprendre que Abdelaziz était dans ça, c’est aussi un ptit gars comme moi. » En fait, Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez ont mis le sac d’armes chez Sandy, une « nourrice », quelqu’un qui stocke des choses illégales. Sandy est venue à la barre témoigner. L’assesseur rappelle la relation entre Sandy et le témoin, qui réplique : « Ah non non non attendez, c’était pas une relation. On faisait les choses que font, bon, un homme et une femme et voilà… Bon, j’ai pas envie de dire ça hein, mais Sandy c’était un moulin quoi ! » Des armes, il dit qu’elles étaient « plus vieilles que mon père ! » et qu’il en connait certaines grâce « aux jeux vidéo ». Le sac d’armes a été stocké chez Sandy et certaines armes ont été vendues, Sandy et son compagnon de l’époque étant des toxicos qui ont vendu les armes pour de la drogue (au début ils avaient dit avoir jeté le sac d’armes dans la Meuse).  L’assesseur lui fait remarquer qu’en garde à vue il a chargé Miguel Martinez sur le volet radicalisation, mais là le témoin dit qu’il ne connait pas Miguel Martinez, juste de nom, et physiquement il voit qui c’est car Miguel Martinez fait plus de 2 mètres de haut : « Hey faut savoir aussi moi j’étais en tristesse de la garde à vue, je sors de chez moi pour aller travailler et là y’a des flics ils me sautent dessus on comprend rien. Moi quelqu’un me saute sur le dos je me défends. Après ils disent voilà j’ai été résistant lors de l’interpellation mais heu c’est la SDAT qui m’arrête, c’est pas la police municipale de Charleville mais euh le policier sur mon dos bah il est tombé et il s’est fait mal quoi. » En garde à vue, le témoin, un peu drama queen dit : « Ok, je vais tout vous dire et vous aurez ma mort sur la conscience. » L’assesseur veut savoir pourquoi il a peur comme ça, le témoin reparle de la garde à vue : « Vous vous rendez pas compte, c’est du terrorisme, moi chuis pas en sécurité hein, le cerveau il craque, chuis mal. » L’assesseur veut savoir si le contexte local n’y est pas pour quelque chose. En 2014 un homme est tué, Abdelaziz Abbad est accusé d’être le commanditaire du meurtre, il a pris vingt cinq ans. L’assesseur pense que le témoin ne dit pas tout et a peur de représailles. Le témoin dit : « Hey mais non moi Abdelaziz je connais toute sa famille et lui pareil. On se fait rien, jamais il me touchera. Bah oui j’étais très très inquiet dans cette garde à vue, désolé d’avoir été très inquiet ! » Les  avocats d’Abbad l’interrogent, ils résument : dans le sac il y avait sept, huit armes, deux armes ont été vendues par le témoin à « Gabin, un ami qui m’parle pu depuis » et le reste des armes alors ? « Un jour jvais chez Sandy, bah la dernière fois en plus, après plus jamais, j’arrive et y’a son ex qui était là, Teddy. Bon… Sandy c’était vraiment une fille bien et puis avec Teddy elle est tombée dans la drogue dure, c’est une toxico, elle vole pour la dope et j’arrive y’a plus de sac. C’est Teddy il avait carotte les armes pour sa conso de drogue ! Abdelaziz whooooo il était énervé il disait jvais les niquer, jvais les niquer, jvais les niquer. Vous savez, les armes c’était de la merde mais bon Charleville-Mézières c’est quoi ? 60 000 habitants, 30 000 fumeurs de shit voilà. » Me Apelbaum : « Je vais vous poser une question très précise, Monsieur, vous comprendrez après. Est-ce qu’à ce moment-là, au moment où les armes sont stockées, on sait, LA CITE SAIT, est-ce que tout le monde sait qu’à Revin, dans le quartier de XX, chez Monsieur B. sont stockées des armes ? » Le témoin dit non, bien sûr, et Me Apelbaum lui explique pourquoi il a demandé ça. Marwan, témoin, est venu à la barre dire que tout le monde savait que le sac d’armes était là. Me Apelbaum lui dit : « Merci Monsieur. » Me Coutant-Peyre arrive. Chaque fois qu’on évoque ce sac d’armes elle rigole, pour elle il n’existe pas. Elle dit au témoin que voilà il dit « Octobre 2014 ou Novembre ou Décembre… » Lui il dit : « Hey chuis un gros fumeur de shit moi, moi on me demande un truc en garde à vue c’est trois ans après les faits, je sais juste que c’est l’hiver. » Bon, au final, que ce soit Octobre, Novembre ou Décembre ne change rien et c’est ce que dit le Président et les avocats d’Abbad engueulent Me Coutant-Peyre qui leur crie : « MAIS VOUS ETES PARTIE CIVILE MAINTENANT ! » Ali Polat se lève, il est en doudoune, il hurle : « C’est un témoin à 2 francs ! Moi j’attendais les confrontations ! Casse-toi ! » Le Président hurle et l’audience est suspendue pour la pause déjeuner. Moi je pars. Comme Polat j’attendais les confrontations. Il n’y aura pas de reprise d’audience pour l’après-midi, Ali Polat a fait un malaise et a été évacué, l’audience arrêtée comme un préambule au confinement.




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