Sonia, veuve du commanditaire de l’Hypercacher

Vendredi 23 octobre 2020. 30ème audience.

Journée visioconférence. La plus attendue est l’audition de Peter Chérif. Membre d’Al-Qaïda, il était ami avec Chérif Kouachi. Il est parti combattre en Irak, il a été capturé et mis à la prison d’Abou Ghraib. Il s’est échappé et est allé en Syrie pour combattre. Il est de nouveau arrêté et extradé en France et… il s’échappe le dernier jour de son procès et va partir en cavale six ans au Yémen. Il est arrêté fin 2018. Il ne renie rien de son engagement islamiste. Il est en prison actuellement, pas possible de le faire venir témoigner à la barre pour des raisons de sécurité, il sera jugé dans le cadre de ces attentats mais plus tard, la juge d’instruction avait déjà clos le dossier lorsqu’il a été arrêté. 

Dans la salle, avant que l’audience commence, des journalistes miment le salut nazi fait hier par Patrick, le témoin, les journalistes non présents hier ont les yeux tout écarquillés. L’audience commence et un avocat de la partie civile prend la parole : « Hier, Monsieur le Président, un témoin a eu des propos racistes. Il a parlé de renier sa race, collectivement une réaction aurait dû avoir lieu, ces propos-là sont condamnables et n’ont pas leur place dans cette arène. » Me Pugliesi, ma rock star de la défense : « Unanimement, au nom de la défense, nous condamnons ces propos ouvertement racistes et tous mes confrères de la défense se joignent à moi sur ça. »

L’écran s’allume pour une visioconférence. A l’écran apparaît une jeune femme, toute mignonne, marinière rose, elle pourrait avoir un Hello Kitty derrière, sans voile, elle est en détention provisoire pour une affaire de terrorisme, elle a des choses à nous dire. En fait elle a vécu en Syrie, elle s’appelle Sonia, elle est née en 1989. Elle raconte : « En Syrie je suis partie en septembre 2014. Là-bas, j’ai été mariée à Abdelnasser Benyoucef, il m’a dit ses fonctions, il était l’émir des opérations extérieures, il a commandité les attentats de l’Hypercacher, de Notre-Dame et un attentat raté en Belgique. Il m’a dit qu’il s’était occupé de recruter Amedy Coulibaly. Il le trouvait sincère envers dieu, il n’en disait pas plus. » Le Président l’interroge sur les gens qu’elle a vus « sur zone », « sur zone » c’est le terme utilisé par les services de police et la cour pour parler de la zone Irak/Syrie, il lui demande comment là-bas les attentats ont été vécus ? « Ça a fait beaucoup de bruit sur zone. Y’a eu Hayat Boumeddiene qui a donné une interview au magazine de l’État Islamique. Mon mari il était content, que fallait que la France paye des bombardements, il disait on se venge et voilà, pour le Bataclan mon mari était content. » Le Président lui dit : « Bon y’a une information judiciaire en cours sur vous donc on n’y revient pas, d’ailleurs vous allez aussi témoigner au procès de Sid Ahmed Ghlam qui se déroule actuellement, mais bref c’est pas le sujet. Votre opinion à vous c’est quoi ? » Elle dit qu’elle a été triste mais que « sur zone » on ne peut pas montrer ça. Elle dit qu’elle a eu deux enfants avec cet homme-là, puis : « Mon mari est mort le 30 mars 2016. Je l’ai vu mort, il s’est pris une balle. J’ai été remariée avec un autre homme, un soldat, j’ai eu un enfant. Hayat Boumeddiene, je l’ai rencontrée plusieurs fois, d’abord à Raqqa après son arrivée, après je l’ai vue dans les camps, elle a réussi à s’enfuir, elle s’était remariée à un Tunisien sans enfants, elle était toujours à fond pour l’État Islamique et voulait rejoindre un autre califat. » En janvier 2020, Sonia est incarcérée en France. Elle raconte avoir cessé d’adhérer à l’idéologie dès son arrivée là-bas. Le Président : « Oui, d’ailleurs en PV vous racontez que votre mari était violent avec vous, qu’il vous frappait, qu’il vous violait et aussi des choses interdites par l’islam comme la sodomie. » et Sonia s’écroule. En vrai ça me fait super mal au cœur et même si je comprends qu’on lise une déposition, vu qu’elle n’est que témoin, je pense que le Président aurait pu présenter les viols de manière elliptique, ça n’amène rien aux débats de savoir ça et vu la réaction de Sonia elle ne s’attendait pas à ce qu’il raconte ça. Elle se reprend et raconte son exfiltration jusqu’à Istanbul avec ses trois enfants. Elle a appris que son deuxième mari est en prison chez les Kurdes. Elle rajoute avoir rencontré les Belhoucine. Medhi est mort très rapidement après son arrivée, ce que les services de renseignements savaient. Quant à Mohamed et sa femme, partis avec leur enfant, ils ont eu trois autres enfants « sur zone » et seraient tous morts. Elle a passé cinq ans de sa vie en Syrie.

Une avocate partie civile veut savoir comment elle en est arrivée là. Là encore ça ne rentre pas dans le débat mais bon, Sonia raconte avoir rencontré une « mauvaise personne » – on comprend « un idéologue » – d’ailleurs elle dit : « Comme celui-là, qui parle du professeur décapité, l’homme qui agite tout autour de lui, bah voilà, c’était un homme comme ça, il s’appelle Rachid. » Elle l’a rencontré au travail, en six mois il lui a lavé le cerveau. Me Coutant-Peyre : « Bon, vous avez dit que les attentats c’était parce qu’ils [l’État Islamique] n’aiment pas le mode de vie français et les bombardements, c’est ça ? » « Oui. » Une avocate parte civile veut poser une question mais c’est trop tard. Dans l’ordre c’est : le Président/assesseur, la cour, les parties civiles, l’avocat général et la défense à la fin. Comme le Président n’a pas d’autorité il dit : « Bon euh voilà c’est passé le tour ! Mais bon bon bon allez-y. » L’avocate demande si elle a entendu parler des frères Kouachi, la réponse est non. C’est la fin de son audition, le Président la remercie et s’apprête à couper l’écran mais Sonia dit : « Attendez, j’ai un message à passer s’il vous plait ! Charlie Hebdo, c’est important de continuer ça. C’est ce qu’ils détestent là-bas, c’est ce qu’ils veulent, faire un malaise dans la société. Vous représentez la liberté alors ne lâchez pas sur ça. » Sonia, 32 ans, veuve du commanditaire de l’Hypercacher, prête à prendre un abonnement à Charlie Hebdo.

On devait entendre Peter Cherif mais on repousse pour dans une heure car il ne veut pas venir. Du coup on voit arriver Antoine, il est dans la filière Lilloise. Il est très fermé, il bossait dans la friterie de Claude Hermant et donc était au courant des armes. Il a un accent et dit « comme çô ».  Il a été condamné à trois ans, il ne veut rien dire. Le Président lui dit : « Bon, nous on a le début, c’est les armes et Claude Hermant, et on a la fin, c’est les armes et Coulibaly. On veut comprendre l’entre deux, la chaine… » Mais Antoine ne veut rien lâcher, il dit juste que Claude Hermant a bien remilitarisé les armes. Il dit « Je ne peux pas vous dire. » le Président : « Dîtes plutôt que vous ne voulez pas ! » Les témoins comme ça, qui refusent de parler, sont toujours très fatigants. Le Président lui parle de Samir L. celui qui voulait racheter la friterie, et lui lit une partie du jugement de Lille. Antoine a déclaré avoir vu la remilitarisation de douze kalachnikovs, dix scorpions, et cinq ou six armes de poing. Le Président : « Bon, c’est pas très légal tout ça ! Enfin ça rapporte plus que des frites. Claude Hermant, c’est un mythomane mais y’a de la réalité aussi, le trafic d’armes, c’est une vérité, la vente d’armes aussi. » Antoine dit qu’il savait que Claude Hermant était un indic et donc protégé. Il filmait aussi les rencontres avec les policiers et douanes pour se protéger. Me Coutant-Peyre lui pose des questions sur les services impliqués avec Claude Hermant comme indic : douane, police, gendarmerie, service de renseignement, y’a tout en fait, il manque juste la vie scolaire du lycée Marguerite de Valois d’Angoulême et y’a toutes les autorités de l’état. Et Me Coutant-Peyre part dans tous les sens, elle parle même des frites, bon on apprend que parfois Claude Hermant payait Antoine « en cocaïne »… Dans ce procès, quasiment tous les avocats de la défense ont mon admiration pour leur éloquence, leur intelligence, et puis y’en a un, le personnage de Peyo c’est pas vraiment ça. Il dit à Antoine : « Ayez du courage, Monsieur, et avouez que les armes d’Hermant, elles étaient chez Coulibaly ! » Le Président : « Bah, ça c’est établi par la procédure. » Me Daphné Pugliesi, la rock star de la défense : « Bonjour Monsieur, je suis l’avocate d’Amar Ramdani au côté de mon confrère Saint-Palais. » Cette présentation, je l’ai entendue 357 fois je pense. Elle lui parle écoutes téléphoniques, lui demande si Samir L. n’est pas un « fusible » dans cette histoire. Antoine lui dit : « C’était le bon coupable, oui. » Antoine s’en va. On doit entendre Peter Cherif. On a dix minutes de suspension.

Au retour, le Président dit que Peter Cherif a son audition de repoussée à 16h30. Il ne veut toujours pas témoigner. Il devait témoigner à 10h30, puis 11h30, puis là 16h30… Je pars, excédée par ça en pensant que de toute façon il va refuser de parler. A 16h30, je sors du cinéma et j’apprends qu’il doit passer à 17h30. A 17h30 Peter Cherif refuse toujours de venir témoigner. L’audience est suspendue pour un temps indéterminé. Peter Cherif, l’arlésienne de ce procès.

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