« Pas de blague, sinon on te descend »

Mardi 8 septembre 2020. 4ème audience.

Retour au tribunal. La nuit a été courte, je suis réveillée depuis 4h30 à cause de cauchemars sur les photos montrées hier. J’arrive au tribunal à 7h30 je suis la première, pas de Jipé le retraité. J’ai le corps tendu, fatigué comme si ça faisait trois mois que je faisais ça. Dans la salle on apprend qu’hier des gens ont réussi à prendre des photos des cadavres de Charlie. Déjà je ne comprends même pas comment c’est possible vu la surveillance. Ils se sont fait prendre et risquent d’après ce que j’ai compris trois ans de taule.

Ce matin la décision quant à la libération d’Ali Polat va être rendue. On voit arriver l’avocat qui nous avait promis hier de venir en burka ; il est habillé normalement, légère déception. L’audience commence pour être suspendue aussitôt cinq minutes on ne sait pas pourquoi. Le Président arrive il débute tout un discours pour finalement conclure : « Bon ben Ali Polat, demande refusée. » Il reste en zonzon le tonton. On passe aux témoignages, les témoins sont dans l’ordre chronologique des faits. Lorsque les frères Kouachi sont allés chez Charlie Hebdo ils se sont d’abord trompés d’adresse et sont rentrés au 6 rue Nicolas Appert, alors que Charlie Hebdo était au 10. On va donc entendre les employés de la boîte du numéro 6.

Le premier témoin est Madame G. employée. Elle raconte que le matin du 7 janvier 2015 à la photocopieuse elle voit les Kouachi qui tentent de rentrer dans l’immeuble. Elle bloque la porte mais c’est impossible, ils rentrent et lui demandent si « c’est Charlie », l’un d’eux tire une balle. Madame G. on sent qu’elle a besoin de parler, c’est elle qui a demandé à être entendue. Elle décrit comment elle a entendu la fusillade de Charlie après, qu’entre chaque balle il y a un laps de temps et qu’elle apprendra plus tard qu’en fait les frères Kouachi demandaient à chaque personne leurs noms avant de tirer. Elle parle, beaucoup. Elle a été licenciée par sa boîte après ça. On sent qu’elle n’arrive pas à dépasser ce 7 janvier. Elle dit : « Ils nous ont tous tués », on a l’impression que c’est elle qui a vécu le pire. Son avocate lui demande son ressenti quant aux accusés dans les box, elle répond : « Pour moi ce sont tous des terroristes. » Ali Polat s’énerve et se met à hurler sur le témoin : « Vous êtes qui pour dire ça, ils étaient deux les Kouachi, moi j’étais pas là. » Ce qui est dingue c’est que le Président du tribunal laisse faire. L’avocat général crie : « STOP CA SUFFIT ». Le Président n’a aucune autorité, cette scène d’échange me laisse complètement hébétée. Me Coutant-Peyre (et avocate d’Ali Polat) est sur la même ligne que son client, enfin elle s’adresse à un témoin à qui on vient de dire « C’est quoi ton ressenti meuf ? ». Bref elle lui dit : « Vous ne pouvez pas dire que ce sont des terroristes, vous n’avez vu que deux personnes. » Madame G. reste droite dans ses bottes et persiste : « Pour moi ils le sont. » Me Coutant-Peyre, un peu insolente : « Vous avez des éléments ? » L’assesseur met le holà. Encore une fois le Président laisse faire.

Le deuxième témoin est Madame C. elle tremble, elle raconte la même chose, elle se touche les mains et tremble tellement, elle me fait de la peine. Quand le terroriste cherche Charlie elle comprend tout de suite. Elle a appelé la police : « Je savais ce que les terroristes allaient faire. » Elle a hésité à monter dans les bureaux de Charlie Hebdo, puis elle a entendu les coups de feu. Elle pleure, elle dit que lorsqu’elle entend les coups de feu elle comprend que la rédaction de Charlie est en train d’être exécutée. Elle aussi a été licenciée, elle parle de ses séquelles, elle culpabilise beaucoup, elle dit : « J’ai peur de mon ombre », elle a été hospitalisée deux ans en hôpital de jour.

Le troisième témoin est Madame S. C’est une autre société qui venait dans la société des deux témoins précédents, elle avait un rendez-vous. Elle raconte aussi la même histoire, elle a eu une kalachnikov sur la tête, elle fait des crises d’angoisse, elle aussi a été licenciée. Monsieur T. collègue du témoin précédent : même histoire, il a perdu dix kilos en deux mois, il a aussi des crises d’angoisse, il a aussi été licencié. Un peu après les attentats son chef l’a convoqué et lui a dit : « Alors ? Toujours motivé ? » Monsieur W., il s’excuse de ne pas trop bien parler français (en fait ça va), lui était dirigeant d’une boîte de production située dans l’immeuble, il raconte quasiment la même chose : les frères Kouachi sont rentrés dans son bureau. Il a liquidé sa boîte, il a eu un quadruple pontage en 2017. Un avocat vient poser une question, il a ses lunettes de soleil sur le crâne, très très chill. Suspension pendant quinze minutes.

On passe maintenant aux témoignages liés à Frédéric Boisseau, le premier tué des frères Kouachi, qui faisait de la maintenance dans l’immeuble. C’est son collègue Monsieur Jérémy G. qui témoigne, il a mon âge, il est vraiment beau (du moins avec le masque), on dirait Nicolas Gob. Jérémy G. va livrer un récit poignant. Il dit « Frédo » quand il parle de Frédéric Boisseau. Il raconte l’intervention : ils étaient trois : « Y’avait bah Frédo, moi et Claude voilà », ils étaient dans un petit local lorsque les frères Kouachi sont arrivés. Ils ont crié « C’est Charlie ! » Jérémy G. n’a rien compris, il entend un coup de feu, il parle de « proie » « d’instinct animal, de survie », il a ce champ lexical là. Il explique s’être protégé en criant « On est la maintenance ». Kouachi baisse son arme et se tire. Jérémy G. explique : « A ce moment-là, y’a Frédo y’mdit  Jérém chuis touché appelle Catherine  ». Jérémy G. explique qu’en deux secondes le sang envahit le sol, il fait des points de compression à « Frédo », il n’arrive pas à déverrouiller son téléphone il a les mains remplies de sang et là : « Bah et là je vois… CLAUDE, je l’avais oublié ! Je lui dis Claude, appelle les flics ! Et là Claude y fait quoi ? Il sort dans la rue … Alors que y’a les Kouachi encore, il leur passe dans le dos et moi je vois les Kouachi avec une autre personne [Coco] ». Il explique ça très bien avec une excellente description un peu genre scénario. Il explique aussi qu’il est diabétique et que à un moment bah il fait une chute de glycémie, forcément il faiblit et il n’arrive pas à porter les 120 kg de son pote, il veut le dégager de là où ils sont car il a peur que les frères Kouachi reviennent terminer le travail. Il dit que Frédo lui dit : « J’ai chaud, j’ai froid je vais mourir. » Il dit entendre tous les coups de feu de chez Charlie, puis Frédo lui dit : « Dis à mes enfants que je les aime. » Frédéric Boisseau vient de mourir. Là Jérémy G. pleure. Il dit : « C’est peut-être bête mais moi là je le serre dans mes bras, fort. » En fait Frédéric Boisseau et Jérémy G. étaient collègues mais très amis aussi. Jérémy G. détaille tellement bien que j’ai l’impression d’y être. Il dit souvent « Attention » : « Attention j’ai beaucoup d’estime pour les pompiers hein. » Il explique que les pompiers arrivent, puis une femme crie « C’est un carnage ! » (en faisant référence à ce qu’il vient de se passer à Charlie Hebdo) du coup les pompiers laissent Jérémy G. seul avec Frédo, son ami : «  Les pompiers y’m’disent, on peut plus rien faire pour ton pote alors moi je prends un sac de pompier et je le vide et dedans je mets toutes les affaires de Frédo, puis je couvre Frédo avec son manteau et je lui ferme les yeux. » Le président le remercie pour « l’humanité que vous avez amenée, enfin, dans ce procès. » Jérémy G. explique qu’il en a voulu aux médias qui ne s’intéressaient qu’aux « victimes Charlie ». Il dit : « Frédo, c’est simple, c’est le premier tué, le dernier enterré. C’est pas parce qu’on est de la maintenance qu’on vaut moins que Charlie. » Il a la haine envers les terroristes, il est brut de décoffrage, pas là pour faire de la poésie. Il dit : « Attention Frédo il a jamais fait aucune distinction entre les gens il aimait tout le monde » puis « Attention la police elle s’est bien comportée hein, c’est pas simple pour eux » enfin, « Attention, je respecte Charlie et la liberté d’expression c’est vachement important. » On sent le mec bien, mais vraiment ça se ressent, il ne parle QUE de son copain Frédo tant et si bien que le Président l’interrompt : « Mais, et vous Monsieur G. ? Comment allez-vous ? » Il a des insomnies : « Je m’en sors pas si mal, il faut relativiser quand même, la vie elle est belle quand même. » Il veut rendre hommage à Frédo : « Mon pote il m’a fait la courte échelle pour que je grimpe dans la boîte, il avait un cœur gros comme ça. » Il est chouette, ancré dans le réel, parle des gosses de Frédo et Catherine qu’il a vus naître. C’est celui qui m’a le plus émue. C’est la pause. Jérémy G. a parlé plus d’une heure c’est beaucoup.

Retour d’audience et on termine par le témoignage de Madame Catherine G., la compagne de Frédéric Boisseau depuis dix-sept ans qui n’était pas là mais qui raconte comment elle a vécu le 7 janvier 2015. Elle raconte que Jérémy G. lui téléphone : « On nous a tirés dessus Frédo est blessé. » Elle allume la télé et voit que y’a eu des attentats, elle ne sait rien, elle habite à la campagne et prend le train pour aller à Paris. Elle explique l’attente sur les lieux et ce qu’elle va dire est scandaleux, on ne lui dit rien, alors elle répète sans cesse : « Moi je peux pas rester là à attendre alors je me dis, il est mort je vais à l’institut médico-légal [IML]. » Là-bas « des gens très gentils » lui disent qu’ils ne savent rien. Elle retourne à Charlie, on refuse de lui parler. Elle retourne à l’IML, rebelotte. Elle retourne chez Charlie, elle retourne à l’IML et retourne chez Charlie, trois fois donc, enfin trois allers-retours. Elle exige de savoir. Cinq heures après son arrivée sur les lieux on lui annonce que « Ah oui Frédéric Boisseau est une victime. » Autrement dit il est mort. Elle va chez les parents de son compagnon pour leur annoncer. « Voilà ma journée du 7. » Elle lève les yeux au ciel pour s’empêcher de pleurer, elle a les mains dans les poches de sa veste. Elle dit que ses enfants ont eu un papa peu de temps mais un « papa formidable qui a fait beaucoup de choses avec eux ». Elle a été en arrêt pendant deux ans, Sodexo la boîte de Frédéric Boisseau a été super, ils lui ont trouvé un emploi près de chez elle. Comme Jérémy G. elle parle de la « maltraitance » des médias, elle dit que dès le début on a su qui chez Charlie était mort et qu’elle elle a su au bout de cinq heures, elle a récupéré le corps très tard, ça a été très compliqué. « Pourquoi ? » demande le Président : « On n’était pas prioritaires sur Charlie Hebdo. » Elle n’a pas envie de parler d’elle mais de Frédéric son « formidable compagnon », elle raconte leur rencontre dans un train, il lui a proposé un Mars, trois semaines après ils achetaient une maison. Elle raconte les fêtes avec les copains, la maison du bonheur, les barbecues de Frédéric, même le cochon de lait de Frédéric et « Caramel son chat qui le suivait partout ». Fin du témoignage. En vrai les deux étaient superbes et Frédéric Boisseau avait l’air d’être un vrai gars bien.

Vient le moment d’entendre les témoignages de Charlie Hebdo, d’abord Corinne Rey alias Coco, dessinatrice. Cheveux montés en chignon haut, elle a une veste verte, un jean. Elle dessine à Charlie Hebdo depuis 2007, un stage qui se transforme en taff, elle raconte son admiration pour les dessinateurs. Elle est déjà là en 2011 lorsqu’il y a un incendie criminel mais elle ne réalise pas trop le danger. Elle dit que fin 2014 on lui propose de reprendre la place de Riad Sattouf, elle est heureuse. Elle parle du bouclage du lundi 5 janvier. Le 7 c’est la conférence de rédaction, elle passe à Franprix acheter une galette, aussi car c’est l’anniversaire de Luz, un dessinateur. Elle parle de ce jour-là. Elle chambre Tignous qui est en avance, Charb dessine, Cabu avait invité deux personnes à assister à la conférence de rédaction et il avait eu un jambon en cadeau. Elle décrit l’ordre de la table, ils parlent du livre de Houellebecq Soumission, elle raconte le débat entre Tignous et Bernard Maris qui parlent des jeunes qui se tirent en Syrie. La réunion arrive à sa fin, elle part sans dire au revoir, juste elle serre l’épaule de Tignous, elle doit chercher sa gamine à la crèche. Elle pleure. Elle va dire à Angélique L. : « Viens on va fumer une clope en bas. » Elles y vont et dans la cage d’escalier elle entend qu’on l’appelle : « COCO ! » elle se retourne surprise et ce sont les frères Kouachi, bien sûr elle ne comprend pas. Elle pleure tellement en parlant. Ils l’attrapent par le bras, ils balancent Angélique L. dans la cage d’escalier en lui interdisant de bouger, les Kouachi disent à Coco : « On veut Charlie, on veut Charb. » Ils la forcent à monter l’escalier, elle parle de sa détresse absolue, elle pousse une porte et se rend compte qu’elle s’est trompée d’étage, elle se dit que c’est fini pour elle, que les terroristes ne vont pas la croire et vont péter les plombs alors elle fait le geste qu’elle a fait, elle fait ce geste incroyable, elle s’accroupit en plein tribunal et dit : « J’ai mis mes mains sur ma tête en demandant pardon. » elle est dans le présent, elle est là maintenant tout de suite encore le 7 janvier 2015. Les frères Kouachi lui disent : « Pas de blague sinon on te descend. » Ils continuent la montée des marches, elle parle de marche funèbre, dans le dos elle sent les armes : « J’ai avancé vers le code et je l’ai tapé. » Les frères Kouachi la poussent dans les locaux et tirent sur quelqu’un à l’accueil, elle se tire direct et va se cacher dans le bureau de Riss. Elle entend les bruits des tirs et lorsque toute la rédaction se lève : « Ils tirent et crient Allah akbar. » Elle entend un terroriste dire à Sigolène Vinson qu’il ne la tue pas car elle est une femme. Elle parle du silence, un silence de mort. Elle entend les tirs dans la rue, elle va dans la salle de rédaction pour voir qui elle peut aider, elle dit : « Je vois un homme à terre, je n’arrive même pas à reconnaitre qui c’est, c’est Mustapha. » Elle pleure tellement. Elle dit voir quelques collègues sortir de leurs cachettes. Elle parle des jambes de Cabu « avec des miettes partout car il bouffait du pain tout le temps », elle parle du visage de Charb, elle veut aider Riss qui est blessé mais elle a peur de faire mal, il faut aider Philippe Lançon qui est très mal au fond « Il n’a plus de visage. » Elle téléphone à la mère de Philippe Lançon : « Votre fils est vivant mais défiguré. » Elle entend Patrick Pelloux arriver qui hurle : « Charb, mon frère ! » « Et puis voilà… » Et puis voilà dans ses silences, dans ce « voilà » Coco n’en dit pas plus mais tout le monde comprend. Le Président l’interroge sur les menaces qui pesaient sur le journal : « J’ai appris de mes années Charlie que le délit de blasphème n’existait pas. Nous sommes dans notre droit alors les menaces ça veut rien dire. » Elle explique que les valeurs de Charlie étaient la liberté et l’expression, que Charb était « à pisser de rire ». Elle évoque le numéro d’après, qu’elle avait besoin de s’occuper l’esprit, qu’elle croit en la justice : « Ici règne la loi des hommes pas la loi de dieu. » Son avocate l’interroge. Elle culpabilise énormément, elle dit : « J’en veux aux islamistes, mais aussi à la société qui baisse son froc devant l’islamisme », quelques personnes applaudissent dans la salle, on entend « BRAVO ! », les flics rappellent tout le monde à l’ordre. Me Coutant-Peyre pose une question débile : « Pourquoi les terroristes en voulaient spécialement à Charb ? » Coco lui répond pleine de mépris : « C’est le seul qui avait une protection policière. » Pause de quinze minutes.

C’est le témoignage maintenant de Angélique L. qui a accompagné Coco fumer la clope, elle vient compléter le témoignage. Elle raconte la même chose que Coco, puis : « Lorsque les Kouachi me disent de rester en bas je sors dans la rue. Ils sont montés avec Coco, je vois Luz sur le trottoir en face, je lui dis Tu nous fais une blague ? Luz me répond que des gens dans l’immeuble d’en face lui disent de ne pas rentrer à Charlie, qu’il se passe quelque chose. Je dis à Luz qu’ils ont pris Coco, Luz me regarde et dit : C’est une prise d’otage  à ce moment-là je comprends. » Elle parle de sa vie perso qui est un peu « pétée ». Me Coutant-Peyre évoque des menaces reçues par le journal en novembre 2014, « Mais ça arrivait tout le temps » dit Angélique L. Elle demande si les menaces ont été signalées, Angélique L. dit : « Oui. » Fin de son témoignage.

C’est le moment d’entendre Sigolène Vinson. On l’a vue hier dans la vidéo de surveillance, apeurée. Sigolène quand elle arrive je fais « AAAAH » dans ma tête car depuis le début je vois cette nana avec des sweat Beatles et je ne sais pas qui c’est. Là elle a un sweat violet oversize très chouette elle a l’air : hyper cool. On apprend qu’elle avait une chronique judiciaire dans Charlie Hebdo. Avant ça elle a été avocate elle en a eu marre elle a tout quitté et est devenue serveuse dans un camping en Corse. Elle a vécu 20 ans rue de Crimée à côté de chez moi. Elle parle beaucoup et rigole aussi avec les larmes aux yeux. Elle parle bien comme un avocat, comme quelqu’un qui a fait des études, comme quelqu’un qui a acquis une liberté on sent qu’elle est guidée par ça, sa liberté. Elle raconte sa rencontre avec Charb et Patrick Pelloux. Le 7 janvier 2015 elle passe à la boulangerie chercher un gâteau pour l’anniversaire de Luz, elle prend « un marbré c’est ni joli ni bon », elle raconte Cabu et le gros jambon, Tignous qui prépare le café. Elle parle de la conférence de rédaction et éclate en sanglot. Elle se reprend, dit que Bernard Maris lui a conseillé de lire un livre dont le titre est :  Robespierre, reviens !  Elle dit qu’il y a un débat sur la France périphérique, que Tignous dit comprendre les jeunes qui vont en Syrie. Elle dit : « Le ton monte comme d’habitude, je m’éclipse faire un café et quand je reviens y’a Philippe Lançon qui s’apprête à partir il doit passer à Libé. Charb lui dit que ça serait bien que Lançon écrive une critique de Soumission de Houellebecq. » Sigolène s’arrête, elle rit, elle a ce regard enfantin de celui qui va dire une connerie. Elle continue : « Je m’en souviendrai toujours car à ce moment-là Lançon explique qu’il a déjà fait une critique du livre pour Libé et qu’il veut pas faire une  resucée  et Charb lui dit : Oh oui Philippe resuce-moi encore un peu. », tout le monde rigole. C’est à ce moment-là que dans la salle de rédaction ils entendent les premiers coups de feu dans l’entrée. Elle dit : « Je comprends tout de suite, je croise le regard de Charb qui comprend aussi. » Quand elle parle elle a toujours les mains sur les hanches, elle se balance comme si elle récitait une leçon apprise par cœur, cette histoire là, la sienne elle a dû la raconter tellement de fois, à d’autres, ou dans sa tête et ça se sent. Elle raconte ce qu’on voit sur la vidéo : elle se tire et se met à terre, elle se cache, les Kouachi la trouvent, ils la sermonnent et lui disent qu’elle doit lire le coran. Les Kouachi disent ne pas tuer les femmes. «Alors je me dis que s’ils tuent pas les femmes, c’est qu’ils tuent les hommes et dans mon dos j’ai Jean-Luc [un collègue] et je ne veux pas que Kouachi quitte mon regard et comprenne que Jean-Luc est là. Je le fais pas pour Jean-Luc, je le fais pour moi. Si Jean-Luc meurt je vais avoir sa cervelle sur moi et je m’en remettrai pas. » Elle parle des yeux de Kouachi, elle dit : « J’ai dit qu’il avait les yeux doux, je m’en veux tellement. » Les tueurs partent, elle voit les corps. Elle dit : « Philippe a sa joue dans sa main il me dit T’as vu ? ». Elle parle du costume pied de poule d’Honoré, elle le reconnait comme ça, elle dit : « Quelques instants plus tôt c’est de l’intelligence pure, et de l’humour et faire rire, être drôle c’est être intelligent et tout ça, c’était à terre, la cervelle, par terre. » Sigolène Vinson parle beaucoup et bien et de manière très crue, très trash, elle n’utilise pas d’euphémisme ou de silence pour ne pas dire certains mots. Elle décrit les odeurs, quelle partie du corps on voit, quels os sont sortis de telle personne, quelle personne a le visage « fondu dans le sol » quel bout de chair manque à telle personne. Elle en a le droit bien sûr, il n’y a aucun jugement de ma part mais c’est pour moi parfois à la limite du soutenable, je ne peux pas retranscrire ce qu’elle dit. Elle rectifie : « Au fait j’ai entendu dire qu’on avait demandé les noms des gens avant de les tuer, c’est faux. » Le Président l’interroge, il veut savoir pourquoi les corps de Honoré, Cabu, Elsa Cayat et Bernard Maris sont ensemble. Sigolène Vinson ne peut qu’émettre des hypothèses. Le Président évoque la vie de Sigolène : elle a vécu à Djibouti, elle aime cet endroit. En 1987 son père a été victime d’un attentat : « Alors je savais que ça n’arrivait pas qu’aux autres, j’ai été élevée avec l’idée que si une bombe explose, ne t’approche pas pour aider les gens car une seconde va exploser. » Elle dit : « Peut-être que j’étais mieux préparée. ». Elle parle de son retour à Djibouti fin 2018, qu’un jour elle passe une journée géniale, elle retourne chez sa pote qui lui dit « Peter Cherif a été arrêté. » [NDLR: Peter Cherif est le grand absent de ce procès il aurait eu un rôle dans les attentats, peut être en tant que commanditaire, il sera interrogé par visioconférence le 24 septembre, il sera jugé plus tard, lorsqu’il a été arrêté le dossier du procès était clos ] Sigolène dit : « Ok je m’en fous qu’il soit arrêté mais ma pote continue : Il a été arrêté ici, à Djibouti, il y a 30 minutes », elle dit ça nerveusement. « Et vous savez quoi ? Je dis à mon amie :  Tu imagines on va pas prendre le même avion quand même lui et moi, et bah on a pris le même avion. » Puis le Président évoque un ami de Sigolène Vinson mort dans les attentats du Bataclan. On passe aux questions des avocats, c’en est trop pour moi, les questions seront nulles je le sais, je me tire, je ne supporte plus rien, plus un seul mot.

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